Dans le doute, pratiquer le détour

De violents débats sur l’Art, suite à  l’exposition d’une photo en Avignon jugée blasphématoire, ont agité le monde médiatique et la violence des propos n’a pu laisser aucun chrétien indifférent.


Sans être un grand philosophe, on peut comprendre que ces prises de position extrêmes dépassent le monde de l’Art, de la Religion même, et touchent au plus profond et au plus intime de chacun. Nos contemporains sont inquiets et les réactions liées à  la peur de voir disparaître un univers culturel et spirituel pousse à  des réactions primaires.

Que dit le littéraire ?

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Il conseille le détour, selon la préconisation de Jacqueline de Romilly, l’helléniste convaincue estimait que seul le détour par le passé permettait de comprendre le présent.
C’est à  la redécouverte de deux grands humanistes que vous êtes conviés.
François de Sales et Montaigne, le spirituel et le philosophe.

Pourquoi eux ?

Parce que leur pensée garde toute sa pertinence dans le monde troublé : beaucoup ont aujourd’hui ont le sentiment de perdre pied.
Relisons donc deux hommes de Lettres qui ont vécu des temps de violences et surtout une époque de rupture.

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Montaigne : 1533-1592 et François de Sales 1567-1522 sont nés pendant les guerres de religion, une époque particulièrement terrible. Tous deux ont été des hommes de paix, sollicités par leurs monarques comme diplomates. Tous deux ont pratiqué le respect de l’autre et de ses convictions : par amour du Christ pour François de Sales, par humanisme pour Montaigne. Aujourd’hui on leur décernerait le prix Nobel de la paix. Si François de Sales a ramené le Chablais devenu protestant après l’invasion des Bernois, c’est par la douceur et l’argumentation.
Il a rencontré Théodore de Bèze, à  Genève successeur de Calvin. Montaigne, s’il était resté très fermement catholique, recevait des chrétiens réformés et souhaitait qu’on les écoute plutôt que de les combattre.
Temps de violence et temps de rupture aussi.
Les grandes découvertes au début du siècle introduisent l’Occident dans une nouvelle perspective de l’univers, où les valeurs chrétiennes sont confrontées à  celles du nouveau monde. Pas à  l’avantage de celui-ci d’ailleurs. Colonisation abusive déjà  dénoncée par Montaigne :

« Nous nous sommes servis de leur ignorance et inexpérience à  les plier plus facilement vers la trahison, luxure, avarice et vers toute sorte d’inhumanité et de cruauté, à  l’exemple et patron de nos mœurs. … Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l’épée, et la plus riche et la plus belle partie du monde bouleversée pour la négociation des perles et du poivre ! Mécaniques victoires. Jamais l’ambition, jamais les inimitiés publiques ne poussèrent les hommes les uns contre les autres à  si horribles hostilités et calamités si misérables. »

La mondialisation, déjà .
L’homme du Moyen-à‚ge disparaît et avec lui des certitudes. Pour Montaigne, le doute était la condition nécessaire à  la réflexion.
Apparition de l’imprimerie qui implique la circulation universelle de la pensée. Révolution de la communication assez comparable à  Internet.
L’œuvre de François de Sales sera un immense succès d’édition. « L’Introduction à  vie dévote » un best seller universel.
La raison de ce succès tient à  deux qualités de ce grand maître spirituel.
L’accès à  une spiritualité personnelle proposée à  tous, quelle que soit la place qu’on occupe dans la société, et non aux seuls prêtres et religieux.

« La dévotion doit être différemment exercée par le gentilhomme, par l’artisan, par le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la mariée ; et non seulement cela, mais il faut accommoder la dévotion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier

Je vous prie Philotée, serait-il à  propos que l’Évêque voulût être solitaire comme les Chartreux ? Et si les mariés ne voulaient rien plus amasser que les Capucins, si l’artisan était tout le jour à  l’église comme le religieux, et le religieux toujours exposé à  toutes sortes de rencontres pour le service du prochain comme l’Évêque, cette dévotion ne serait-elle pas ridicule, déréglée et insupportable ? »

L’œuvre de François de Sales a d’autre part été beaucoup lue en raison de sa qualité littéraire. Comme Montaigne il pratiquait l’art de l’image, comparaison et métaphore. Tous deux avaient la même exigence d’une écriture compréhensible par tous. Le goût de l’aphorisme également

« Le monde est né de l’amour, il est soutenu par l’amour, il va vers l’amour et il entre dans l’amour. »
« On a besoin de patience avec tout le monde, mais particulièrement avec soi-même. »

François de Sales

Et de Montaigne

« L’homme est malmené non pas tant par les événements que, surtout, par ce qu’il pense des événements. »particulièrement d’actualité.

La littérature invite à  visiter le passé pour prendre du recul par rapport aux événements qui nous bousculent. Le passé le plus lointain peut se révéler le plus actuel.
Lire implique une prise de distance, plus encore que regarder -l’œuvre d’art- ou écouter-de la musique- qui s’adressent davantage à  une émotion immédiate. Henri Madelin, sj, et ancien directeur de la Revue Études, la présentait comme « la première marche vers la spiritualité ».

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La Bible de Gutenberg

Marie-Paule Dimet

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