La mer intérieure, entre les îles

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J‘ai découvert Chantal Danjou avec Les amants de glaise (2009), ce court récit,-je le qualifierais volontiers de poème en prose-, m’avaient impressionnée, exprimant avec une intense sobriété une relation amoureuse entre plénitude et effacement, en correspondance avec le paysage catalan.

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Et maintenant Mer intérieure , nous y retrouvons la forme du bref poème en prose, découpé en courtes phrases, quelquefois réduites à  un mot. Graphisme acéré, nerveux. Avec des audaces formelles, telle :  » A-bout sanguinolent-M-sperme-Our-anus en œil de mouette » .
Voici le texte liminaire : «Réalité perdue et ces îles qui courent à  l’infini du trait. » Mer intérieure évoque Mare nostrum, la Méditerranée, l’Algérie de l’enfance. L’écriture peut-elle redonner le perdu ?
Nous ne sommes pas dans le registre de la narration, mais plutôt dans celui de la description d’un réel zébré de sensations et d’images, un réel de haute intensité.
Paysages à  l’interface de la géographie et du mental, en référence parfois avec des tableaux (Egon Schiele, Chagall).
Corps-paysages, avec la crudité du sexuel et de l’organique.
Crudité, cruauté : «Le sexe. Le plus âgé du corps Fesses comme nuages et feux Viscères chatoyantes boivent leur cadavre. » (p. 20)
Présence très physique du désir.
A deux reprises, image-choc du viol :
«Ne pas voir, être vu. Violé. » (p.31)
« La couleur du ciel tuméfie. Le toit viole. » (p. 58)

J’ai interrogé l’auteure à  ce sujet, voici sa réponse : «Violé vient à  la suite d’une déclinaison de voir dans un sens de plus en plus passif. Je dirais que j’ai voulu noter là  un extrême du regard, celui qui fouille une intimité. Qui voit jusqu’au fond, jusqu’aux entrailles. Dans le même ordre d’idée s’inscrit le toit viole parce que d’un toit il est possible de plonger dans l’intérieur des maisons, de scruter. C’est aussi dénoncer pour une part ce que je ressens parfois comme l’ingérence du public dans le privé. »
Comme dans Les amants de glaise, présence de la nature du Sud, âpre, colorée, liquide.
«Devant. Routes, horizon et la mer et la grande colline. Le pin » (p.83)
L’orchidée, l’herbe, l’écume, la grenouille, le serpent, les guêpes
qui sont, d’après l’auteure autant «d’éléments symboliques et complexes Une disponibilité à  l’éphémère. »
Nature mêlée de rêve :
«Vigne inondée. Ce serait Rizière. » (p.77)
Nature non démêlée du corps de l’amour
« Et sexe rempli de neige où traverser le champ du noir » (p.51)
On peut lire ce livre comme un voyage, avec ses 5 parties : Méduse , Gris, Fleuret, Immobilités, Rizière. La 4ème partie, Les immobilités, m’apparaît comme le sommet de l’ouvrage, « une sorte d’aboutissement du voyage » , dit Chantal Danjou.
« Cet éblouissement ! Un dieu insoutenable. Réalité de l’amour dans le soleil qui aveugle. « (p.57)
« L’immobilité après la joie. L’amour ramène aux montagnes. » (p.61)
D’ailleurs, cette partie se clôt avec trois textes sur Tipasa, bouclant le voyage sur un lieu d’enfance :
« D’autres étoiles sur la mer. L’eau de pleine lumière. » (p. 68)
Il me semble que Chantal Danjou est une auteure tout à  la fois inclassable et incontournable, son ouvrage nous invite à  un univers que l’on n’oublie pas.

La mer intérieure, entre les îles
Mémoire vivante mai 2012
Dessins de Hamid Tibouchi

Geneviève VIDAL pour ACF

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