Cinéma – La Prière

Un film de Cédric Kahn – France – 2018 – 1 h 47

Une récitation du Credo dans son intégralité dès le début du film. Puis un Notre-Père, puis quelques psaumes, et des Je vous salue Marie en veux-tu en-voilà, pas moins de trois admirablement chantés, pendant le générique final ! Les signes manifestes que nous sommes bien au coeur d’un film qui assume de bout en bout sa marque catholique, en accord avec ce que le titre et l’affiche du film nous laissaient présager.

Probablement. Mais surtout un vrai bon film qui ne s’enferme jamais dans ce qui pourrait être un carcan de bien-pensance, et qui se révèle comme porteur d’un magnifique témoignage de foi, et d’une profonde spiritualité. Dans le genre, un film comme nous n’en avions pas vu depuis longtemps, depuis le superbe film de Xavier Beauvois, Des Hommes et des Dieux.

La tête baissée, l’air renfermé, le visage sombre marqué de cicatrices, Thomas arrive dans un centre d’accueil pour toxicomanes, où les maîtres mots sont prière, travail, fraternité, pardon. Confronté à une discipline de fer à laquelle il n’est manifestement pas préparé, Thomas est accueilli avec un admirable élan d’amitié venant de tous ceux qui seront ses compagnons. Avec deux figures tutélaires, Marco le directeur du centre, et Pierre, autre résident, à qui on le confie, et qui sera son « ange gardien ».

Le film raconte le parcours que va suivre Thomas, fortement influencé par cet « ange gardien », mais aussi par le Père Luc, le curé qui intervient dans le centre et y célèbre les offices. Parcours marqué par des moments de révolte, mais aussi progressivement par un véritable attachement à ce lieu perdu et à ceux qui l’habitent, avec une vraie volonté de s’en sortir.

Les rencontres avec une jeune fille, la découverte que Pierre est marié et père d’un petit garçon, les échanges avec le Père Luc, vont conduire Thomas à s’interroger sur ce qui est sa véritable vocation: devenir prêtre comme le Père Luc, ou se marier et avoir des enfants, à l’image de Pierre, son « ange gardien ».

La fin du film semble pencher pour le choix de l’un de ces engagements, mais elle est suffisamment ouverte et suggérée, pour inviter à penser que Thomas n’ a pas encore atteint tout à fait sa pleine maturité, et que son véritable choix de vie reste à faire.

Sur le plan esthétique, Cédric Kahn filme avec beaucoup de simplicité et un égal bonheur les scènes d’intérieur et les grands espaces des montagnes au décours de différentes saisons, suggérant ainsi l’écoulement des mois et des années. Le temps nécessaire à Thomas pour découvrir l’homme nouveau qui est en lui, se l’approprier, et le laisser s’épanouir.

La caméra de Cédric Kahn s’attarde souvent sur les visages en de longs plans fixes, en particulier lors des témoignages rapportés par les compagnons et les compagnes, puisque des filles sont accueillies dans un autre centre à proximité de celui des garçons. Ces images permettent de découvrir, soit par le verbe, soit par la simple observation des traits, ce qu’ont pu être les violences vécues par ces jeunes gens, les souffrances qui en ont découlé, les chutes dans l’alcool et dans la drogue, mais aussi le bonheur qu’a représenté la possibilité de se libérer de ces fléaux.

Le film évite brillamment l’écueil du prêchi-prêcha, ou une idéalisation trop insistante et qui serait malvenue, du chemin de conversion que Thomas emprunte par la prière et par l’ascèse. Cette réussite repose sur le talent du réalisateur et des scénaristes, mais aussi largement sur la qualité des, interprètes qui tous, donnent beaucoup de présence et de force à leurs personnages. En tout premier lieu, Anthony Bajon, déjà investi dans une belle carrière de comédien, et qui se coule dans le personnage de Thomas avec une intensité et un engagement particulièrement impressionnants.

Les cinéphiles retrouvent avec plaisir, et dans le rôle assez inattendu d’une religieuse, la grande actrice allemande Hanna Schygulla, icône du nouveau cinéma allemand des années 1970. Et c’est à elle que Cédric Kahn donne une des plus belles scènes du film, peut-être la plus émouvante. Scène qui la met face à face avec Thomas. Scène filmée en un plan très resserré, dans une demi-obscurité, au plus près des visages. Scène où se mêlent tendresse et violence. Scène véritablement habitée par la grâce.

Pierre QUELIN

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