Cinéma – Cold War

Un film de Pawel Pawlikowski – Pologne – 2018 – 1 h 24 – Prix de la mise en scène au festival de Cannes 2018.

« Allons de l’autre côté, la vue sera plus belle »

Des histoires d’amour, le cinéma n’a cessé de nous en raconter, dès sa naissance à la fin du 19ème siècle et jusqu’à aujourd’hui. Des histoires de toutes sortes, heureuses, dramatiques, tragiques, contrariées, impossibles….

L’histoire d’amour que vivent Zula et Wiktor dans le film de Pawel Pawlikowski est à ranger, sans le moindre doute, dans le registre de l’inachevé permanent, émaillé de rencontres, de séparations, de retrouvailles, de ruptures. De telle sorte que moments de bonheur souvent exaltés et épisodes de souffrance vont continuellement habiter et rythmer les relations amoureuses entre Zula et Wiktor.

Histoire d’amour certes, tragique et poignante, mais aussi film de mémoire politique, puisque cette histoire, ainsi que l’indique le titre du film, s’inscrit dans les années les plus sombres de la guerre froide où planaient perpétuellement des menaces de guerres et de conflits. Le film transporte ses personnages d’un pays à un autre, en-deçà et au delà du rideau de fer qui représentait, à cette époque, une frontière pratiquement infranchissable.

Pawel Pawlikowski porte un regard sévère et glaçant sur ce qu’était son pays, la Pologne des années 1950-1960, simple satellite du « grand frère » qu’était l’URSS. Pays des privations de liberté, gangrené par la délation et une corruption de tous les instants. Avec Wiktor, qui conserve de manière très symbolique sur un mur de son appartement un portrait de Dimitri Chostakovitch, une espérance de liberté se dessine, fragile, mais farouche.

Ceci étant dit, ce qui constitue d’abord et avant tout la formidable qualité du film, c’est sa beauté plastique, dans le droit fil de ce que nous avions découvert avec Ida, le précédent film de Pawlikowski.

Format carré, images en noir et blanc, ombres et lumière, profondeur de champ et précision des gros plans, décentrage des personnages à l’intérieur du cadre, narration souvent très elliptique, maîtrise du temps, révèlent à nouveau la rigueur des choix esthétiques de Pawlikowski, maitre en mise en scène et en photographie. Le découpage et le montage sont particulièrement virtuoses, avec l’alternance d’écrans noirs séparant différentes séquences, et de transitions très abruptes, prenant le spectateur au dépourvu, en particulier pour le conduire d’un pays à un autre, à l’Est et à l’Ouest.

Musique omniprésente, véritable personnage dans toute la première partie du film, et mêlant tout au long de son déroulement chants populaires, classique et jazz.

Bouclant la boucle, le film se termine avec le retour d’images vues en son début, comme l’église en ruine et les yeux peints sur ses murs. Au début du film avec la présence du commissaire politique, à la fin du film avec celle de Zula et Wiktor…

La conclusion du film est magnifique, en faisant disparaître Zula et Wiktor hors du cadre, en mettant dans la bouche de Zula la phrase placée en exergue de ce papier, et en montrant tout simplement l’herbe de la prairie vibrer sous la caresse du vent. Par ces images et par cette parole, Pawlikowski, sans rien nous dire explicitement, nous laisse libre d’imaginer la tragique réalité du dénouement de cette impossible histoire d’amour.

Pierre Quelin

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Joanna Kulig (Zula) et Tomasz Kot (Wiktor)

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