Denis Dercourt, Evreux (roman)

Denoël, Paris 2023

Est-il possible de raconter une histoire, la vie d’un homme, depuis ses parents jusqu’à ses enfants ? Quelles relations de cause à effet entre les choix d’un père ou d’un grand-père sur la vie de leurs descendants ? Comment ne pas succomber à une psychologie de pacotille ?

Le livre de Denis Dercourt est constitué d’autant de chapitres que d’années. On ne sait pas vraiment ce que vivent les personnages, ce qu’ils ressentent. Pas d’introspection. Pour la plupart, on ne saura d’eux que quelques moments, ceux qu’ils ont en commun avec le protagoniste. Le récit se présente comme un relevé factuel, froid, des actions des uns et des autres. Au lecteur de se « débrouiller » avec ce qui paraît autant de faits divers dans les journaux. Léon lit aussi, dans une langue qu’il ne connaît quasi pas, ce type de comptes rendus. Que sont les vies des uns et des autres, prises comme ce qu’en saurait un détective privé ? Assurément des occasions de condamner, de dénoncer, de faire chanter, morceaux d’un puzzle qu’il ne semble pas utile de finir pour en savoir plus que nécessaire.

Pourtant, on s’attache aux nombreux personnages du roman. Pourquoi ? Parce que seulement on continue, adultes, à aimer que l’on nous raconte des histoires ? Parce que plus que ces histoires, nos vies, sont interrogées, tout spécialement selon l’axe du bien et du mal ? Parce que nous savons, même sans jamais le dire, que toute vie à travers une biographie de fait divers, est bien davantage, est estimable, digne, du moins souvent. Qu’est-ce que bien faire, ou mal, lorsqu’il s’agit de vivre, de survivre, de trouver les moyens d’une revanche sur un passé qui nous échoie et que nous marque comme au fer et nous blesse irrémédiablement ou nous construit dans une capacité toujours renaissante à vouloir la vie : l’absence d’un père, sa trahison, la fidélité des mères, l’incapacité des uns à se tenir à une parole, la fidélité des autres à la leur, quoi qu’il en coûte.

Des aventures cabossées n’empêchent pas la bonté, des vies rangées n’évitent pas le désastre, maladies ou méchanceté, crimes, vengeances, ou incapacité d’assumer ses actes. N’importent pas à l’auteur les destins de chacun, mais ce que les rencontres donnent d’occasion de faire du bien ou du mal, y compris de faire du bien comme renvoi d’ascenseur. Faudrait-il croire que la vie est affaire de mérites et de rétribution du mérite ? Pourquoi certains semblent semer toujours la bonté quand d’autres paraissent tout faire en vue de leur intérêt, quitte à dépouiller ou détruire l’autre ? Pourquoi l’habitué au mal tient-il cependant des limites et met son honneur à ne pas spolier n’importe qui ?

Il n’y a pas de justice immanente. Tout est bien qui finit bien est un mensonge, celui des romans notamment, d’où le danger pour l’écrivain. Le livre de Job, lu au détour d’un chapitre, raconte depuis longtemps le non-sens de l’existence. Pourquoi nous mettre sous les yeux ces questions de toujours ? Pour nous obliger à suspendre notre jugement ? Pour interdire toute théorie ? Demeurer éveiller, ce pourrait être une manière de dénoncer le mal, sans même ouvrir la bouche, juste pour l’avoir vu. Ce pourrait aussi être une manière de compatir, juste d’être témoin. Ce pourrait enfin être une manière de faire le bien, juste en en rendant compte.

Evreux se lit facilement et agréablement. La froideur de faits divers ne parvient pas à refroidir l’attachement que l’on porte aux personnages, y compris les salauds. On finit par les aimer, au moins leur être attaché. Tour de force. Quant à la justice du ciel, d’après le pasteur qui enterre Léon, elle fait que même les salauds prennent part au banquet des noces. Décidément, sale temps pour la rétribution et le mérite !

Richard II, TNP

Au TNP Villeurbanne, du 10 au 17 novembre.

L’exercice du pouvoir peut-il être bon ? Qu’est-ce qu’un bon pouvoir ? Celui qui décide et décharge les autres du poids des responsabilités, celui qui fait consensus (jamais unanime) et consulte ? Celui qui flatte les intérêts ou celui qui vise le bien commun quitte à se mettre tant de monde à dos ? Celui qui cherche la paix y compris contre les légitimes demandes de sanction des agresseurs ou celui qui place son pays comme une force qui dissuade de l’attaquer ? Où et comment trouver l’argent pour la politique ; il faut bien le prendre où il est !

Aristote pensait le politique comme usage de la parole pour écarter la violence, la canaliser du moins. Platon, constatant la condamnation inique par l’institution de justice du juste, n’était pas loin d’y voir qu’une comédie cynique.

Richard II, jeune monarque, suscite l’envie d’être remarqué comme son allié. Ce sera à qui sera le meilleur courtisan, quitte à médire des autres. Tous ces gens qui veulent le meilleur sont capables du pire. Le roi les juge selon ce pire seulement et les exile. Grisé par la puissance de ses décisions, il se croit capable de tout, ne tient pas compte des résistances à son pouvoir. Il fantasme le paradis où un Père jugerait avec justice dans un monde d’enfants obéissants de sorte que chaque conflit réglé serait comme n’ayant jamais existé.

La faute de Richard est sienne, mais aussi celle de chacun quand il se fait courtisan, servile volontaire, rendu sourd au bien commun par la seule quête de son intérêt personnel. La faute de son successeur sera de croire lui aussi à la possibilité d’un nouveau départ, page blanche, paradis sans héritage fautif. Gouverner c’est, depuis toujours, évoluer au milieu du mal, le moins injustement possible.

Shakespeare met en scène la tragi-comédie du pouvoir, cauchemar pour le gouvernant et les gouvernés. A part les questions propres à la démocratie, au rassemblement des suffrages, ses questions sont celles qui minent nos sociétés et tout groupe, y compris l’Eglise. Sont-ils donc tous pourris ? Ne pourrait-on que s’en remettre à un homme, une femme, providentiel (qui bien sûr n’existe pas) ?

Dieu est partout dans le texte, jusqu’à la caricature de prière où le ridicule ne tue pas ! Et pourtant, au XVIe comme on XXIe siècle, on n’a guère essayé de gouverner en servant. Est-ce à dire que l’on n’a pas la bonne idée de Dieu ou que l’enseignement de Jésus est impossible ? Lorsque Richard épouse autant qu’il y est contraint le renoncement, il ne gouverne plus…

Peut-être regrettera-t-on la rapidité à laquelle le texte est dit. La farce, la drôlerie au cœur du drame, si caractéristique du baroque, oblige à ne pas croire ce qui est raconté, à interroger l’histoire pour qu’elle ne soit pas un conte avant d’aller dormir. Micha Lescot, remarquable par la variété de son jeu trouve des partenaires à sa hauteur.

Atiq Rahimi, Mehstî, chair des mots

passages d’un monde à l’autre, il ouvre à l’humain.

Chair des mots. Est-ce un oxymore. Le flatus vocis, le souffle de la voix est chair, c’est-à-dire aussi érotisme. Il n’y a pas ce chair sans désir, ou plutôt, les mots transforment la chair en désir.

Comme un écho, que le texte de Atiq Rahimi ignore : Kai o logos sarx egeneto, Et le mot est devenu chair.

Une poétesse persane dont la biographie est incertaine, au XIIe siècle, laisse quelques quatrains, que l’auteur lit, présente, met en intrigue dans un dialogue avec elle, Mehstî. Il passe par-dessus les siècles comme par-dessus les obstacles, l’impossibilité de la traduction. Ce n’est pas sans risque, y compris de récupération idéologique. Mais sans les passeurs de mots, sans les dialogues par-delà les âges et les cultures, c’est tout ce dont notre mémoire serait ignorante dont nous ne pourrions nous nourrir, réduits à un passé fait seulement d’un attachement infantile et affectif à notre mère. Les intégrismes ne savent rien de l’histoire et canonise comme passé ce qu’ils imaginent être la religion de toujours, celles de leurs pères les plus immédiats.

La poétesse qui parle et chante si crûment ne peut qu’apparaître comme une résistante à la phallocratie. La parole, la poésie est politique ; la chair, celle de la femme, ses cheveux qu’il faudrait dissimuler est politique. Aujourd’hui, en Iran, après le meurtre de Masha Amini, elles crient et chantent et espèrent à moins d’être tuées : Femme, Vie, Liberté ! « En détachant ton corps et ta poésie de toute métaphore, tu ne t’attaches qu’aux mots nus de la vérité. Mais cela ne t’empêche pas de jouer avec les expressions ambivalentes. »

« Un soufi, dans le silence de sa méditation, eut soudain la vision d’une femme se livrant aux jeux de l’amour dans une maison de passe. / Seigneur, soupire le soufi, de grâce, donne-moi cette femme ! / Non, fit la Voix, pourquoi n’as-tu pas prié que je te donne, toi, à elle ? »

Le sexe est subversif. Même le plus rigoureux des ascètes n’y peut rien. Pas étonnant que les religions s’en méfient. Ce n’est pas une question de genres, tous sont renversés ; les hommes ont besoin des femmes, c’est leur force jusqu’à la subversion ; (Le sultan aime son bel échanson ; c’est aussi la force subversive de l’homosexualité.) Le sexe et le désir, les mots de la poésie, hier et aujourd’hui, sont politiques. On comprend que l’homme oublie si vite qui s’endort pour ne pas rester pris dans les rets de l’amour, de la dépendance. Cachez ces cheveux que je ne saurais voir : refus de la confrontation au secret que nous sommes.

Les religions se méfient du sexe, les mots crus, nus. C’est qu’il est, comme l’ivresse du vin, une dénonciation de l’hypocrisie. Un cheikh dit à une débauchée : « Tu es ivre / Et à chaque instant tu te donnes à quelqu’un » / Elle lui répond : « Je suis ce que tu dis, certes / Mais toi, es-tu ce que tu parais »

Subversif ou salut de la foi, contrairement à ce que l’on pourrait penser. L’amour, l’aimance, y compris légère, y compris adultère ou prostituée, l’aimance comme religion, non pour faire de la vibration des corps un dieu, mais parce que Dieu serait amour. Ce n’est pas dit pas Atiq Rahimi. C’est une autre histoire, pas si différente cependant de celle de Mehstî, celle du Cantique des Cantiques.

M. Bellocchio, L’enlèvement (film)

Autant qu’on puisse le savoir sans être spécialiste de l’affaire, le scenario de L’enlèvement n’est pas en tout point d’une exactitude historique irréprochable. Il s’empare de l’affaire Mortara, un enfant juif enlevé à sa famille sous-prétexte qu’il aurait été baptisé et devrait en conséquence être élevé dans la foi catholique. Nous sommes sous Pie IX, en 1858, et l’on perçoit combien une disposition du droit canonique qui jusqu’alors n’avait guère suscité de réactions devient incompréhensible et est comprise comme une violence insupportable, contraire à la morale et aux droits fondamentaux. L’Eglise de Pie IX, dans la seconde partie de son pontificat surtout, est celle d’une condamnation intransigeante de la modernité. Le monde de l’Eglise s’effondre comme un mur, quasi sans victimes, quasi sans résistance.

Le décalage entre la fiction et l’affaire invite à regarder une fable. Le réalisateur ne retrace pas un épisode historique, mais propose une réflexion sur la violence institutionnelle, celle qui prend la forme de la vérité comme dogme ou conviction indépassable. Cela n’empêche ni la bonté ni l’authenticité et la probité. L’inquisiteur ou le Pape paraissent décidément butés dans leur intransigeance, sûrs d’eux-mêmes, du droit, de leur vérité : non possumus. La question demeure cependant pour Mortara devenu prêtre ou pour sa mère, fidèle jusqu’à la mort à sa foi. Le seul que l’on voit changer de camp est le frère aîné. Mais est-il plus libre ou seulement une girouette orientée par le vent du moment ?

Dans l’établissement où l’enfant enlevé à ses parents est élevé, il ne manque pas d’attention. Le rapt réussit doublement, non seulement prise de corps mais possession idéologique. L’homme adulte n’est-il que la victime d’un lavage de cerveau, d’un formatage ? A-t-il un libre arbitre ? Chacun est la conséquence du contexte dans lequel il grandit. Ce déterminisme est-il plus ou moins plus acceptable que la violence des puissants ?

Demeure la question de la violence chrétienne. Comment les disciples d’un Juif ont-ils pu opprimer les Juifs ? Comment les disciples d’un juste condamné violemment peuvent-ils user de la violence et de la force ? Ils finissent pas n’être que les traitres à leur propre maître, mais ils ne peuvent le voir, refusent de le voir. Les clous qui attachent Jésus sur la croix sont bien peu par rapport à l’arraisonnement d’une vérité ininterrogée. Il faut rendre sa liberté à Jésus, comme une résurrection, le dépendre de la croix où l’Eglise le garde sous la main. On attend que Jésus soit libéré des liens idéologiques, comme décloué. Le film ne va pas plus loin. On peut s’interroger : L’Eglise peut-elle agir autrement qu’en propriétaire exclusive de son Seigneur ? Que serait-elle alors ? Qu’apporterait-elle au monde ?

Le scénario est moins unilatéralement anti-ecclésial qu’il n’y paraît, davantage une sorte de psychanalyse qui invite à fréquenter ce qui nous façonne, pourquoi nous tenons à nos convictions parfois plus fort qu’aux liens du sang, jusqu’à la mort. Plusieurs mises en parallèles, entremêlements de scènes qui se jouent dans des espaces différents accentuent la relativité des dites convictions, déterminations, identités, positionnements identitaires. La prière juive est mont(r)ée source et sœur de celle des chrétiens, le jugement du tribunal comme une folie.

La subtilité du propos est aussi profonde que la beauté des images. La musique de Chostakovitch annonce une Eglise et un monde pris par la folie. Politiques ou religieux, nos conditionnements nous donnent-ils la possibilité d’être lucides, libres… et bons ?

V. Delecroix, Naufrage (roman)

V. Delecroix, Naufrage, Gallimard, Paris 2023

Vincent Delecroix est connu comme philosophe. Il a notamment travaillé la philosophie de la religion et Kierkegaard. Il a aussi publié quelques romans et essais ; son dialogue avec Philippe Forest, Le deuil. Entre le chagrin et le néant propose une réflexion tout à fait originale sur le refus de l’injonction à faire son deuil.

Est sorti en août dernier chez Gallimard un nouveau roman, Naufrage, dont le point de départ est un fait réel ; une embarcation de fortune chargée de vingt-neuf migrants sombre dans la Manche en novembre 2021. Une enquête est ouverte pour non-assistance à personnes en danger à l’encontre d’une militaire du Centre de surveillance et de secours. L’enregistrement des conversations avec le jeune qui appelle à l’aide conserve quelques phrases plus glaçantes que l’eau mortelle : « Tu n’entends pas. Tu ne seras pas sauvé. » et peu avant « Je ne vous ai pas demandé de partir en mer. »

On aurait pu craindre un texte de la bonne conscience, une sorte de leçon de morale, celle que la gendarme instructrice voudrait imposer au cours de l’enquête. Mais la fiction mène ailleurs, dans un long monologue de la militaire incriminée qui essaie de comprendre ce qu’elle a dit et sa responsabilité. Au trois quarts du récit, une pause dans ce dialogue avec elle-même fait effraction, racontant la tentative de traversée jusqu’à la noyade.

Le fait divers disparaît au profit d’une sorte de méditation, au sens de Descartes, une recherche de la vérité, du sens de ce que nous vivons, de ce qui est vraiment. Deux questions s’entremêlent et nous laissent, comme les dialogues de Platon, sans réponse, mais moins coupablement naïfs, moins ignorants de nous-mêmes : la question du mal et de la responsabilité, personnelle ou collective, politique et sociale, la question du salut puisque « tu ne seras pas sauvé ».

Le salut est-il possible et que signifie-t-il ? De la salutation (« Salut ! ») au secours reçu, on pourra lire une parabole d’une délivrance du mal et de la mort, ici et maintenant, l’exigence d’une justice qui viendrait enfin reconnaître tous ceux que leurs semblables ne peuvent pas, ne veulent pas voir. C’est aussi la militaire incriminée qui cherche à savoir ce qu’est sa vie, la valeur de sa vie, le salut pour elle aussi. L’auteur ne dit rien d’une dimension théologale du salut, même si perce ici où là un cri, venu du fond des âges et des tripes, vers un dieu qui pourrait sauver.

Eric Chacour, ce que je sais de toi (roman)

E. Chacour, Ce que je sais de toi, Philippe Rey, Paris 2023 (Prix Femina des lycéens)

On ne dit que du bien du roman d’Eric Chacour. Inutile de répéter ce que d’autres ont déjà rédigé. Au fur et à mesure que les pages se tournaient, je prenais peur. Cela allait se finir. Je voulais rester avec l’histoire, les personnages, l’auteur.

Beaucoup de douceur dans un monde de bruts, celui des préjugés et des évidences. La haine qui tue, comme s’il n’y avait pas déjà assez de la maladie ! La machination abjecte pour ne surtout pas remettre en cause ce que l’on pense, jusqu’à renier les siens. La certitude implacable d’être dans son bon-droit, puissance mortelle du dogmatisme. Ce n’est pas l’extrémisme d’une quelconque radicalité, seulement la banalité du mal sous couvert de défendre les valeurs. Violences d’abandons ou de trahisons. Mais pas un mot plus haut que l’autre, les conventions d’une culture majoritaire ou d’une microsociété en train de disparaître. Sauver la face, les apparences quitte à mourir et à tuer.

Le manque, l’absence, tiennent en haleine et font traverser les années et les océans à un ado, entre ces quatorze et dix-sept ans. Mais de celui qui occupe toutes ces pages, finalement, on ne saura pas grand-chose. Qu’a-t-il éprouvé à se découvrir un fils ? Que se sont-ils dit ? Se sont-ils aimés comme un père et son fils ?

Ne pas raconter est mensonge, dissimulation. C’est aussi la pudeur avec laquelle l’auteur considère ses personnages, une délicatesse dont ils ne ressortent que plus vivants, où se cache, cette fois, non le non-dit, mais la délicatesse. Le lecteur est ménagé par une narration qui ne se révèle explosive qu’une fois le livre reposé. Trop tard, le mal est fait, impossible de revenir en arrière. Abandonné par l’auteur, le lecteur a été mené à une forme d’expérimentation de l’abandon dont le récit vient de s’achever.

Librairie Passages, Lyon 07 02 2024

Marcel Godard, Une musique aux nombreuses demeures.

Spectacle donné à la crypte de la basilique de Fourvière, les 6, 7 et 8 octobre 2023.

Un spectacle en hommage, par un de ceux, nombreux, qui ont aimé Marcel Godard. Il y a quelque chose de l’émotion à écouter un grand-père raconter ses années d’entrée dans la vie adulte. On aimerait partager l’affection et l’hommage, on n’a pas envie d’égratigner le respect qu’inspire un maître et un père, mais…

Faut-il faire de toute vie un récit à suspens et à résolution… heureuse. Et quelle résolution ! Marcel Godard n’aura pas abandonné sa vocation de prêtre pour la musique : il sera prêtre et musicien. La formule magique a pour nom Jean-Sébastien Bach, écouté, redécouvert à Leipzig en 1943. Godard a 23 ans.

Que le Cantor de Saint Thomas ait joué un rôle dans la vie de Marcel Godard, c’est un truisme. Il reçut bien d’autres influences, dès ses jeunes années, et rien n’en est dit. On peut comprendre que l’on ne puisse retracer toute la vie, mais ces années sont-elles les plus originales et fécondes de Marcel Godard ? L’appariement texte musique paraît guère pertinent, et pour cause, ce qui a mû Godard n’est pas un épisode de sa vie de séminariste, mais sa quête, comme disciple et musicien, que rien, dans le spectacle, ne montre.

Pourquoi les effets avec un micro, pourquoi les projections vidéo sur la voute au-dessus du chœur ? Comme si l’on se servait de la technique, parce que l’on sait faire, parce que c’est ainsi aujourd’hui, mais qu’on ne savait pas que dire avec.

Le texte est ponctué, accompagné par des extraits de compositions de Marcel Godard, en direct, interprétés par le chœur Rhapsodia, Ensemble vocal dirigé par Laurent Grégoire. Si Marcel Godard s’est exprimé par la musique, c’est d’abord elle qui dit son œuvre, sa prédication, et l’on regrette qu’un texte bavard, ennuyeux même, n’ait laissé plus de place à la musique.