Carnage

de Roman Polanski

France/Espagne/Pologne/Allemagne, 1h20, 2011.
Festival de Venise 2011.

Sortie en France le 7 décembre 2011.

avec Jodie Foster, Kate Winslet, Christoph Waltz et John C. Reilly.

Un film bref et intense où l’on voit les ravages de la violence des mots, du cynisme et des convictions, chez des gens tout à  fait civilisés !

Le huis clos au cinéma est toujours un exercice intéressant où on peut voir comment le réalisateur joue avec la notion d’intimité, d’étouffement et d’espace. Trois notions sur lesquelles que Roman Polanski a pu longuement réfléchir après avoir été assigné à  résidence pendant de longs mois. Inspiré de la pièce de théâtre de Yasmina Reza, Le Dieu des carnages (2006), le film est aussi l’illustration d’un dérapage ou de l’adage qui dit que l’enfer est pavé de bonnes intentionscarnage3.jpg

Un couple de newyorkais aisés, dont le fils de 11 ans vient de perdre de deux dents suite à  une bagarre au terrain de jeu, invite les parents de l’enfant responsable de cette agression pour en discuter, « entre gens civilisés ». Bien évidemment, la discussion va vite déraper, chacun ayant non seulement sa propre version de ce qu’est une agression, la violence ou une attitude « civilisée ». Dans l’écrin d’un bel appartement bourgeois, où un bouquet de tulipes jaunes importées de Hollande est la seule chose qui rappelle aux quatre protagonistes la Nature dont ils sont issus, ils vont peu à  peu succomber à  la colère.carnage4.jpg

La caméra de Roman Polanski fait de cet espace confiné un terrain de jeu pour adultes, élargissant tour à  tour le ring et la sature des personnages, ou rétrécissant leur champ de vision en même temps que leur esprit critique. Tant est si bien qu’on a réellement l’impression d’assister à  une partie de ping-pong acharnée, sueur inclus ! Le rythme est haletant, les réparties ciselées. Les 4 acteurs choisis par Roman Polanski, Jodie Foster, Kate Winslet, Christoph Waltz et John C. Reilly, travaillent tous dans une tradition américaine du jeu, donc un peu plus forcée, qui convient parfaitement à  ce huis clos agressif. Même Jodie Foster arrive à  perdre son sang-froid…
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Carnage, dont le titre même indique qu’on n’est pas là  pour parler tendresse et joie de vivre, est un rude portrait de l’individu contemporain, dénonçant promptement une violence qu’il ne contrôle jamais entièrement. Le film ne s’aventure jamais dans les explications et privilégie l’action, la confrontation et les manifestations de la violence à  travers les paroles. Il nous tend ainsi un saisissant miroir de nos faiblesses ! Si deux incisives et un livre peuvent être rachetés avec de l’argent, comment réparer les blessures portées par les mots ?

Magali Van Reeth

Signis

Projections à  l’Institut Lumière

Comme l’an dernier, le groupe lyonnais de SIGNIS, l’association catholique mondiale pour le cinéma, le groupe Libre parole de la paroisse Saint Alban/Saint Maurice de Lyon et le service Arts, cultures et foi du diocèse de Lyon vous proposent un cycle de projection à  l’Institut Lumière.

La prochaine séance a lieu le lundi 23 janvier 2011, à  20 heures

avec la projection du très beau documentaire La Vie moderne (2008) de Raymond Depardon, , sur la fin d’une certaine conception de l’agriculture. Des images magnifiques et des personnages attachants.

La séance sera suivie d’un débat animé par Martin Goutte. Prix des places 6 euros.

Institut Lumière, entrée 23 rue du Premier Film, Lyon 8ème, métro Monplaisir-Lumière.

Prochaine séance

Lundi 26 mars 2012 : Miracle en Alabama d’Arthur Penn

Je m’appelle Bernadette

de Jean Sagols

France, 1h50, 2011.

Sortie en France le 30 novembre 2011.

avec Katia Miran, Michel Aumont, Alessandra Martinez, Nicolas Joubet, Francis Huster, Rufus.

A travers l’histoire d’une jeune fille très ordinaire qui voit apparaître une « belle dame », les débuts du sanctuaire de Lourdes, racontés avec simplicité.

L’histoire de cette Bernadette-là  est celle de Bernadette Soubirous, jeune fille pauvre et illettrée vivant à  Lourdes à  la fin du 19ème siècle. Une des saintes les plus populaires de l’Eglise catholique et la fondatrice d’un lieu de pèlerinage connu dans le monde entier. Après les apparitions, le petit village de Lourdes est devenu l’une des plus grandes destinations touristiques de France, où passent chaque année plus de trois millions de personnes.bernadette3.jpg

Le film est une belle leçon de catéchisme, avec une image soignée, des costumes d’époque, de bons acteurs. Katia Miran est une Bernadette pleine de vie, d’humilité et de détermination. Son sourire radieux est suffisant pour faire oublier qu’elle est sans doute trop bien habillée pour le rôle. La vérité historique et les positions de l’Eglise d’alors sont parfaitement respectées.

Avec subtilité, Je m’appelle Bernadette rappelle que dans la crédibilité de la jeune fille, il y a aussi un problème de société. A cette époque, si on est pauvre, c’est un châtiment divin, on est responsable de la misère dans laquelle on vit, pour une faute qu’on a sans doute commise. Les pauvres sont encore tenus responsables de leurs mauvaises conditions de vie et les notables de Lourdes se demandent bien comment « ces gens-là  font pour vivre dans une maison aussi insalubre ». La bonne bourgeoisie catholique du 19ème siècle, qui a une interprétation très personnelle des paroles du Christ, est convaincue qu’une jeune fille pauvre et illettrée ne peut pas être digne de telles apparitions. Enfin, c’est une époque où, en France, l’Eglise catholique et l’état sont encore liés.bernadette4.jpg

On sait combien il est difficile de rendre crédible à  l’écran une apparition. On espère donc un temps que nous ne pourrons la vivre qu’à  travers le regard de Bernadette, qui exprime bien le ravissement et la stupéfaction heureuse. Hélas, en choisissant de nous montrer « les apparitions », telles que décrites par Bernadette, on enlève au spectateur la force de l’imagination en lui imposant la déception de la réalité.

Depuis ses débuts, le cinéma se heurte à  cette impasse, notamment dans les sujets religieux. Le miracle a toujours fasciné les réalisateurs, même les plus laïques et les apparitions sont le sujet même du cinéma : comment montrer ce qu’une seule personne voit ou ressent ? Comment montrer l’invisible et le rendre crédible à  travers l’émotion ? Le mystère est une affaire de mise en scène et de « foi » : le réalisateur met en œuvre son talent pour faire « croire » le spectateur à  l’incroyable, pour l’emmener dans des voies qu’il ne soupçonnait pas, pour lui « ouvrir les yeux », c’est-à -dire le bouleverser profondément et le « convertir ».bernadette2.jpg

Je m’appelle Bernadette est un film agréable et honnête qui raconte une belle histoire. Mais on regrette que, pour un film religieux, il manque autant de souffle et de conviction. La mise en scène, trop appliquée, ne laisse jamais la transcendance apparaître. Soucieuse de raconter une histoire sans heurter les catholiques et le grand public, la réalisation ne dit rien sur le mystère de la foi.

Magali Van Reeth

Signis

Toute ma vie (en prison)

de Marc Evans

Royaume-Uni, 2008, 1h37

Sortie en France le 23 novembre 2011.

documentaire

Un documentaire autour des conditions d’incarcération aux Etats-Unis qui donne la parole à  des intellectuels et des artistes, pour permettre une réflexion sur la peine de mort.

En 1981, à  Philadelphie, aux Etats-Unis, à  la suite du meurtre d’un policier blanc, le journaliste et activiste noir Mumia Abu Jamal est hâtivement jugé et condamné à  la peine de mort. Depuis, il clame son innocence, demande la révision de son procès et attend depuis 30 ans dans ce qu’on appelle « les couloirs de la mort » aux Etats-Unis. 30 ans, c’est l’âge de William Francome, un jeune homme né le jour de l’arrestation de Mumia Abu Jamal. Qui constate une fois devenu adulte que cet homme a passé « toute ma vie en prison ».prison2.jpg

C’est le point de départ d’un documentaire qui part à  la recherche d’informations sur ce prisonnier et qui, en chemin, donne une analyse militante et lucide sur le fonctionnement de la société aux Etats-Unis et sur la façon dont ce pays traite ses minorités. Et bien qu’il s’agisse exclusivement d’un cas américain, les spectateurs se trouvent forcément confrontés à  une réflexion plus large sur le droit des états à  disposer de la vie de leurs citoyens.

L’originalité de Toute ma vie (en prison) tient autant sur le fond que dans la forme. Utilisant des musiques actuelles et un graphisme dynamique pour accompagner les traditionnelles interviews, il fait intervenir des personnalités aussi diverses que Noam Chomski, Angela Davis, les musiciens Snoop Dog et Mos Def. La peur, le pouvoir, la justice, l’utilisation des médias, la pauvreté et l’activisme politique sont des personnages secondaires qui évoquent l’histoire de la contestation dans les années 1970, dont les retentissements se font sentir jusque dans les prisons d’Abu Ghraib. prison3.jpg

Réalisé par Marc Evans, avec le soutien de l’acteur Colin Firth, le film a été présenté dans de nombreux festivals et il a été primé au festival des Droits de l’homme à  Genève. En France, 30 ans après l’abolition de la peine de mort, mais à  un moment où le système carcéral est au bord de l’implosion, tant du côté de l’administration pénitentiaire que du côté des détenus, il n’est pas inutile de se poser la question de l’exercice de la justice dans notre société.

Le 22 novembre 2011, en partenariat avec le distributeur Lug cinéma, Signis et l’aumônerie catholique des prisons, une avant-première de Toute ma vie (en prison) a eu lieu au centre de détention de Corbas (Rhône), suivi d’un débat entre les détenus et William Francome.

D’autres infos sur le film et dates de projections : http://mumia-lefilm.com/

Magali Van Reeth[->signisfrance@yahoo.fr]

Signis

L’Ordre et la Morale

de Mathieu Kassovitz

France, 2h16, 2010.

Sortie en France le 16 novembre 2011.

avec Mathieu Kossovitz, Iabe Lapacas, Malik Zidi.

Courageusement, un cinéaste français revient sur un événement tragique de l’histoire de la décolonisation de son pays mais, trop appliqué à  donner son point de vue et à  incarner une thèse, oublie parfois le cinéma.

Le nouveau film de Mathieu Kassovitz – acteur, réalisateur et producteur français prolifique et talentueux – est sans doute le plus réaliste de tous ses films puisqu’il raconte des événements véridiques, historiques même. Mais il pose une nouvelle fois la question de la fiction au cinéma lorsqu’elle s’inspire de faits réels. ordre3.jpg

En avril 1988, le gouvernement français était sous le régime de la cohabitation (le président de la République et le premier ministre appartiennent à  des partis politiques opposés) et entre deux tours d’une nouvelle élection présidentielle (où ces deux personnes s’opposaient). En Nouvelle-Calédonie, territoire français aux antipodes de la métropole, des Kanaks (habitants originaires du territoire) prennent en otage un groupe de gendarmes pour s’opposer à  une série de mesures politiques qu’ils estiment discriminatoires pour leur culture. L’assaut final est tragique.

Le sujet est encore brûlant et provoque de très vives réactions. Pour construire son film, Mathieu Kassovitz s’est basé sur le livre de Philippe Legorjus, capitaine du GIGN (force militaire d’interventions spéciales), chargé des négociations avec les ravisseurs. Dans son récit, l’auteur montre que si les négociations étaient sur le point d’aboutir à  une relâche pacifique des otages, les hommes politiques ont délibérément préféré un acte de force et d’autorité à  des fins purement électoralistes. Le réalisateur a aussi passé de longs moments en Nouvelle-Calédonie, en compagnie de Kanaks ayant perdu des membres de leur famille à  ce moment-là .ordre2.jpg

Dans ce contexte délicat, on sent que le réalisateur, qui interprète aussi le rôle principal, essaye d’être au plus près de son sujet, de ne rien omettre du récit des protagonistes, de coller à  la réalité. Et ce faisant, il oublie trop souvent le cinéma. Certes, il arrive bien à  nous communiquer son plaisir de petit garçon qui adore jouer au soldat, rouler en jeep, habillé en treillis, la mitraillette à  la main et le regard perdu dans le ciel de ces aventures héroïques et dangereuses où tournoient de bruyants hélicoptères Une fois la projection terminé, il reste bien une ou deux scènes de vrai cinéma, notamment celles où on ne joue plus aux soldats, comme lorsque Philippe marche avec le substitut du procureur, avouant son impuissance, ou lorsqu’il téléphone à  sa femme (enfin une femme de gendarme « normale » et non pas une hystérique toujours dans la plainte !) mais on a la sensation d’être passé à  côté du vrai sujet du film : le débat entre l’Ordre et la Moraleordre4.jpg

A force de vouloir bien faire, Mathieu Kassovitz n’arrive pas à  transformer la problématique de son personnage principal en une tragédie qui emporte l’adhésion des spectateurs. On reste à  distance de ce jeune homme qui fait ce qu’il peut pour sauver la vie de quelques hommes, pour donner de la dignité à  son métier, à  son pays. Mais on n’entre jamais dans un débat de conscience qui nous touche, on ne participe pas à  l’argumentaire entre servir ou trahir. Le film est un récit linéaire des événements d’avril 1988, honnête et soigné, mais L’Ordre et la Morale manque de souffle pour convaincre et émouvoir.

Magali Van Reeth

Signis