Une Séparation

d’Asghar Farhadi

Iran, 1h57, 2010.

Sortie en France le 8 juin 2011.

Ours d’or et prix œcuménique au Festival de Berlin 2011. Ours d’argent pour les acteurs et les actrices récompensés collectivement.

avec Leila Atami, Peyman Moadi, Shahab Hoseinni, Sareh Bayat et Sarina Farhadi.

A travers la séparation d’un couple confronté à  un enchainement d’événements difficiles, une réflexion subtile, et filmée avec talent, sur la complexité des relations humaines, entre scission et cloisonnement.

La séparation est au cœur de ce film, subtil et très abouti, du réalisateur iranien Asghar Farhadi. A la fois désagrégation, dislocation mais aussi démarcation, les séparations règlent aussi bien la vie en société que la complexité des relations affectives. Si le film s’ouvre par la séparation d’un couple, les frontières physiques, morales, politiques, culturelles et religieuses lui donnent une densité aussi inhabituelle que bienvenue.

Simin décide de quitter l’Iran pour partir vivre à  l’étranger mais Nader, son mari, refuse pour pouvoir s’occuper de son père malade. Termeh, leur fille adolescente, assiste impuissante à  leur séparation, et aux conséquences de l’accident domestique dont est responsable et victime, Razieh, la femme de ménage. Ces événements, ordinaires et qui pourraient arriver à  tout le monde, s’enchaînent à  un rythme soutenu, qui élève cette chronique de mœurs au rang de film d’action !

Asghar Farhadi s’en explique : Le rythme se construit dès le départ, à  l’écriture, puis à  la mise en scène et bien évidemment au montage. Ce que je voulais surtout, c’était montrer le rythme de la vie à  Téhéran, et faire ressentir ainsi la pulsation de cette ville. Je pensais donc que pour traduire ce tempo très rapide, il fallait partir à  la fois d’un découpage comportant beaucoup de plans et d’une caméra constamment mobile. Avec ces deux dispositifs réunis, on pouvait traduire le rythme de cette ville, la tension et la nervosité des personnages. Quand j’évoque le rythme, il ne s’agit pas de rapidité dans l’action. Certes, le rythme de la vie iranienne peut paraître lent, mais ce qui rend la rend véloce chez nous, c’est la succession de petits moments de la vie quotidienne. Et c’est ce qui se passe dans le film. En fait, il y a énormément d’événements qui se succèdent les uns aux autres et qui chamboulent la vie des protagonistes.SEPARATION-Peyman_Moadi.jpg

Ce chamboulement met en lumière la complexité des relations humaines. Nos peurs, nos lâchetés, nos colères et nos incompréhensions nous guident plus souvent que la raison. Il y a l’argent qui sépare ceux qui sont acculés par les dettes et ceux qui peuvent se payer un avocat. L’éducation, qui permet de garder son sang-froid dans certaines situations et de s’expliquer avec conviction. Enfin, il y a le mensonge, que tous les personnages utilisent tour à  tour, à  chaque fois pour de « bonnes raisons ». Mais jamais le réalisateur ne juge ses personnages, préférant les faire évoluer : j’ai toujours essayé de ne pas concevoir de personnages totalement négatifs. Cela ne veut pas dire que mes protagonistes ne commettent pas d’actes répréhensibles ou d’erreurs mais j’essaye à  chaque fois d’expliquer leurs actes et souvent, le spectateur s’aperçoit que ces personnages ne commettent pas délibérément ces agissements mais qu’ils sont poussés par une force extérieure. Personnellement, je ne crois pas du tout au manichéisme consistant à  distinguer héros et anti-héros, gentils et méchants. Je pense qu’aujourd’hui ce genre de conception a un côté totalement désuet et artificiel.

Les personnages sont aussi servis par le jeu des acteurs. Que ce soit les 4 adultes, Leila Atami, Peyman Moadi, Shahab Hoseinni et Sareh Bayat, dont certains jouaient déjà  dans le précédent film d’Asgar Farhadi, A propos d’Elly (2009). Ou les deux fillettes, qui observent les querelles de leurs parents et les deux couples se déchirer. Tous ont d’ailleurs été récompensés par un prix d’interprétation commun au festival de Berlin où le film était en compétition.

Grâce à  de judicieuses ellipses et une mise en scène raffinée, la tension est maintenue tout au long du film qui, comme dans la vraie vie, n’explique pas tout et laisse en suspens certaines réponses. Asghar Farhadi : Plutôt que de faire passer un message, mon intention est de susciter des interrogations. Il me semble qu’à  l’heure actuelle, nous avons davantage besoin de questions que de réponses. C’est au spectateur de trouver des réponses. Peu importe si sa perception est totalement opposée à  celle du réalisateur. La scène d’ouverture pose précisément les premières interrogations du film. Par exemple, celle de savoir si un enfant iranien a plus d’avenir dans son pays ou à  l’étranger. Cette problématique induit un questionnement et non une réponse…SEPARATION-Leila_Hatami.jpg

Une Séparation nous touche profondément à  travers le désarroi de ses personnages. Sans doute aussi parce qu’on se rend compte qu’il faudrait peu de choses pour retrouver une harmonie, que ce soit dans le couple ou dans la société A la Berlinale 2011, ce film a reçu l’Ours d’or et le prix œcuménique.

Magali Van Reeth

Signis

Le Chat du rabbin

de Joann Sfar et Antoine Delesvaux

France/Autriche, 2009, 1h40

Sortie en France le 1 juin 2011.

film d’animation.

Chronique chaleureuse de la vie quotidienne à  Alger dans les années 1920, ce film d’animation sait aussi trouver le ton juste et joyeux pour parler de théologie et d’aventures exotiques.

Publié chez Dargaud à  partir de 2002, la bande dessinée de Joann Sfar a connu aussitôt un grand succès. Questionnement théologique sur le judaïsme, mais aussi sur le fait religieux et sur le vivre ensemble au-delà  des différences culturelles, Le Chat du rabbin et son auteur sont vite entrés dans les écoles et collèges. Joann Sfar dit que c’est cette confrontation avec le jeune public qui l’a poussé à  faire un film d’animation.chat2.jpg

Condensé de plusieurs épisodes, le film a pour personnage principal le rabbin Abraham Sfar. Il vit à  Alger dans les années 1920, avec sa fille Zlabya et leur chat, qui n’a pas de nom et que tout le quartier appelle « le chat du rabbin ». C’est le chat, trouvant soudain l’usage de la parole et voulant se convertir au judaïsme, qui pose les épineuses questions théologiques à  un brave rabbin dépassé par les événements. Autour d’eux, un imam musulman, des catholiques colonisateurs, des russes exaltés, des fanatiques de tous bords.

Baigné dans les couleurs lumineuses de la Méditerranée et par la tolérance généreuse des personnages, le spectateur est emporté dans un grand élan humaniste dont il ne peut ressortir que meilleur. Mais Le Chat du rabbin ne tombe pourtant pas dans un monde factice où ne règnent que la gentillesse et le bon sens. Avec humour, le racisme, l’antisémitisme, la bêtise et l’extrémisme sont mis en scène, à  leur juste place. On apprécie le naturel avec lequel les personnages y font face, sans violence outrancière et avec intelligence.chat3.jpg

Bien qu’il s’agisse d’un film d’animation, c’est avec gourmandise que Joann Sfar parle des comédiens. Les réalisateurs se sont appliqués à  faire bouger les personnages comme des acteurs et ainsi Zlabya a les rondeurs féminines d’Hafsia Herzi, le rabbin la démarche et la bonhommie de Maurice Bénichou. Un soin particulier a été apporté aux voix, avec François Morel pour le chat, Fellag pour le cheik Sfar et Marguerite Abouet (auteur de la bande dessinée Aya de Yopougon aux éditions Gallimard) est l’Africaine rencontrée en chemin. Au passage, on peut souligner que c’est une actrice d’origine musulmane qui donne sa voix et sa silhouette à  une fille de rabbin, un acteur européen, Mathieu Amalric la sienne à  un prince arabe. Exercice naturel pour de véritables comédiens et une pierre de plus à  l’élaboration du message universel auquel s’attachent les réalisateurs Joann Sfar et Antoine Delevaux.

Le Chat du rabbin est un film pour tout public, à  partir de 8 ans.chat4.jpg

Magali Van Reeth

Signis