Entre nos mains

de Mariana Otero

France, 1h28, 2010.

Sortie en France le 6 octobre 2010.

documentaire

Dans une usine en faillite, des ouvrières se « prennent en mains » pour éviter le désastre annoncé de leur licenciement, un beau film sur une utopie politique.

Alors que les médias annoncent inlassablement des fermetures d’usines et un nombre toujours impressionnant de chômeurs, la réalisatrice française Mariana Otero est allée à  la rencontre de ceux qui essayent de trouver des solutions concrètes pour s’en sortir. Près d’Orléans, en 2009, une usine de lingerie féminine est en redressement judiciaire. Les cadres et les ouvriers (qui sont majoritairement des ouvrières !) décident de ne pas se laisser abattre et tentent de reprendre leur outil de travail. Ils veulent monter une « scop », c’est-à -dire une société coopérative et participative, où les salariés participent réellement à  la gestion de l’entreprise.mains3-2.jpg

La réalisatrice tenait à  explorer ce sujet car : « Je voulais porter mon regard sur une « utopie » qui se confronte au réel en racontant l’histoire de « gens » qui sont amenés très concrètement à  remettre en question leur manière de vivre ou de travailler et à  se penser ou se percevoir autrement, à  travers d’autres pratiques ». On suit donc le projet depuis son origine jusqu’à  son aboutissement. La caméra entre dans les ateliers, dans les salles de stockages, dans les bureaux et la cantine. Elle fait connaissance avec ceux qui portent ce projet avec le plus d’enthousiasme – ou ceux qui résistent !

Mariana Otero filme les ouvrières à  leur poste de travail. C’est un peu irréaliste car, comme c’est un lieu où on fabrique de la lingerie, on voit des soutiens-gorges et des petites culottes partout : sur les tables, sur les affiches aux murs, sur les mannequins du hall d’entrée, dans le bureau du patron. Tissus aériens, couleurs pastel, petits nœuds et borderies fines passent de main en main, sont au cœur des conversations et des préoccupations de tous les cadres et salariés. Mais au-delà  de cette dimension frivole et poétique, la dureté de la vie économique actuelle est omniprésente.mains4.jpg

Le documentaire montre les ouvrières, souvent sans bagage professionnel ou scolaire, se débattre avec les textes expliquant le projet de coopérative, textes arides et souvent incompréhensibles. On se pose des questions, on en parle entre collègues, en famille. Dans leurs angoisses, leurs doutes et leurs interrogations, le spectateur réalise l’ampleur de cette lutte qui dépasse cette entreprise-là  et pose un problème de société : comment résister face au rouleau compresseur du capitalisme, au culte de la rentabilité au détriment de la personne humaine ?

Si, tout au long du documentaire, Mariana Otero sait faire exister à  nos yeux chacun des protagonistes, avec des scènes brèves et riches de sens, elle n’explique pas tout, ne raconte pas le déroulement avant que les choses arrivent : « On n’est pas obligé, comme c’est hélas souvent le cas à  la télévision aujourd’hui, de prendre le spectateur par la main dès le début et de répondre immédiatement à  toutes les questions qu’il pourrait se poser en ajoutant un commentaire de peur « qu’il décroche ». Le spectateur n’en sait pas plus que les protagonistes. Il prend connaissance des situations et des enjeux en même temps qu’eux, il est porté par les émotions qu’ils font naître ». mains2-2.jpg

Alors on voit les événements naître devant nous, rebondissements, découragements, hésitations. Les ouvrières, durant ces trois mois de film et de discussions, vont évoluer en même temps que le projet. Elles vont vraiment se « prendre en mains », retrouver dans cette aventure un sens politique qu’elles n’avaient peut jamais eu auparavant. Même avant l’issue des négociations, on sait qu’elles ont gagné en confiance, en dignité et en solidarité. Alors, en équipe, les salariés de l’entreprise, tous postes confondus, sont capables de prendre aussi leur place devant la caméra et d’offrir, en plus, du spectacle aux spectateurs. Un moment rare et sincère de cinéma !

Magali Van Reeth

Signis

Pour en savoir plus sur les scops : http://www.scop.coop/P193_FR.htm

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