A. Bory, Invisibilli

Du 6 au 10 février 2024 à la Maison de la danse, Lyon 8ème

A la fin du spectacle, on reste assis sans aucune envie de quitter la salle. Lorsque la lumière se fait, comme après un rêve apaisant et consolateur, on profite de tant de beauté et de douceur. Une grande caresse a effleuré chacun de sorte que d’un siège à l’autre, même sans se connaître, on échange une parole pour retenir ce que l’on a vu et entendu. Non, ce n’était pas un rêve, une illusion : nous avons bien vécu cela.

Ce n’est pas que soient gommées la violence ni la mort. Le rideau de fond de scène représente agrandie le déjà large Triomphe de la mort, fresque palermitaine de 1446. Ce n’est pas le pays des bisounours ! On naît, on meurt, on se bat pour vivre, sortir du sein maternel et ne rejoindre celui de la terre qu’en dernière instance.

Quatre femmes, un homme, un musicien, et… le rideau de scène. Ce dernier est un danseur à lui seul, manipulé tantôt comme une marionnette à fils, tantôt comme une voile gonflée par le vent ou une vague qui tour à tour engloutit ou porte en équilibre sur sa crête, tantôt comme une couverture où l’on s’enroule ou un manteau, un linceul ou un linge pour emmailloter, tantôt comme une porte par où entrent et sortent les danseurs, etc.

La musique est sans doute responsable de l’impression de douceur, en direct, minimale, d’avantage ponctuation que support de la chorégraphie ; le ballet se fait presque mime. Et dans les histoires sans paroles, on est tenu en veille pour suivre une histoire qui se raconte loin des habitudes. On rit et frémit ; la femme refuse d’être prise pour un pantin, sa ruse et celle d’une humanité robotisée ; le migrant sur son pneumatique qui finit par alimenté de son air un harmonium.

Aurélien Bory a-t-il réussi à montrer l’invisible ? C’était son propos, comme celui de tout art, trouver la stratégie faire sortir l’invisible, faire sortir de l’illusion qu’il n’y aurait rien d’autre que ce que l’on voit. Visibiliser l’invisible serait sans doute lourd et vulgaire, sacrilège. Le faire éprouver seulement se peut. Et si c’est la douceur d’une brise légère comme celle qui anime les chaudes couleurs du rideau-fresque, alors, le pari est réussi. L’invisible, doux et bienfaisant, pour affronter les entrées et sorties de la vie comme celles d’une scène,

C’est jusqu’à samedi 10 février. Il faut y courir.

Welfare (Wiseman/ Deliquet)

Théâtre des Célestins, 24 janvier-3 février 2024

Il y a cinquante ans, Frederik Wiseman, produisait un documentaire, Welfare, sur les hommes et les femmes qui se rencontrent dans le cadre de l’Aide sociale à New-York. Depuis, l’homme aujourd’hui âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, à la carrière reconnue, n’a cessé de montrer pour les dénoncer les mises à l’écart de diverses parties de la population dans une société qui revendique d’être la garante des droits humains.

Dernièrement, il propose à Julie Deliquet, metteuse en scène et directrice de théâtre, d’adapter pour les planches son travail de 1973. Et voilà que, sans quasi aucune ride, les séquences montées il y a un demi-siècle après des heures de tournage, prennent vie sur plusieurs scènes françaises à commencer par la cour d’honneur à Avignon l’été dernier.

A la frontière entre sociologie et fiction, débarquent des hommes et des femmes que peu de spectateurs sans doute connaissent, mieux, les spectateurs sont embarqués avec ces hommes et ces femmes pendant deux heures trente, pour les écouter, les aimer ou les détester, les juger ou les comprendre, demandeurs d’aides et travailleurs sociaux.

Tous les comédiens sont sur le plateau du début à la fin, dans une forme de huis clos où se dit la misère du monde, la grandeur et la mesquinerie de chacun, sa force et son épuisement. Plusieurs répliques, qui sont en réalité des propos tenus par les uns et les autres en 1973, ont la force et la forme de tirades de Molière, acides, drôles, émouvantes, dénonçant. On côtoie la maladie psychiatrique, la résistance ou l’impossibilité à rentrer dans le rythme et les cadres de la société, les familles qui aident autant qu’elles enfoncent sous l’eau leurs membres, la bureaucratie digne de Kafka, la beauté de la solidarité, le sérieux ou le dilettantisme, la vie simple et la fraternité autant que la banalité de la haine.

L’ensemble joue juste, sans sur-jeu, dans une bienveillante distance qui s’interdit de juger. C’est assez remarquable. Et si une fois ou l’autre on se dit que le texte aurait pu être plus court, on se reprend assez vite. Comment écouter la misère sans un sentiment de profond découragement et même d’écœurement ? On n’en peut plus. Qui est « on » ? Les spectateurs ou les personnes qui viennent chercher de l’aide, les fonctionnaires, chacun, tous ?

Alors que l’on continue à dire que les allocations sociales coûtent cher à la société, que les pauvres profitent du système et que sans cesse on rend plus difficile l’accès au partage et accroît les inégalités, le spectacle fait toucher que vivre dignement n’est pas affaire de réussite mais de droit.

Que fait Dieu ? Il aide encore moins que l’Aide sociale, c’est dire ! et pourtant, il est le refuge, celui qui permet de chanter Alleluia ; aussi dure que soit la vie, se réjouir ou devenir fou.

Les personnages de la pensée (V. Novarina)

Décor, toiles peintes par l’auteur, V. Novarina

TNP Villeurbanne 23-27 janvier 2024

Deux quadrilatères irréguliers et blancs habillent le fond d’une scène vide. Ils ouvrent un passage par lequel entre un violoniste, L’homme improvise une musique virtuose, contemporaine et se déplace dans une marche sans autre but qu’elle-même. Instrument monodique dont on tire non seulement des accords mais une harmonie. Vêtu d’un kimono noir, pieds nus, il est aussi captivant que loufoque.

Rares séquences non-verbales du spectacle, ses deux interventions en sont pourtant la parabole, musique des mots, envoutante ou repoussante, ravissante et mensongère, dissonante et vraie, expression sans parole pourtant parfaitement sensée, logique, calculée, pensée, rationnalisée, et tout à la fois qui relève de l’émotion, du sentiment. Les mots sont résonnance, son, raisonnance, raison, corps et chair et sang, écho, plurivocité, épaisseur.

Les personnages de la pensée, ou de la non-pensée, ou de la pensée pervertie, perverse, se présentent sur la scène dans une sorte de labyrinthe. Les toiles peintes qui s’ajoutent au décor et le remodèle sans cesse mettent sous le nez (comme les mots sont curieux, sous les yeux) des spectateurs des entrelacs graphiques qu’auraient dessinés les pas du violoniste et les tours que l’on fait jouer aux mots et que les mots nous jouent.

Les mots peuvent être chantés, dits, récités, parlés, criés, susurrés, perdus dans le vide ou le silence. Ils sont agencés, de façon grammaticalement correcte dans des phrases sans queue ni tête, ou déformés pour devenir babil, ou disposés pour dire la froideur de la violence, construits pour exprimer ce que l’on cherche à dire, lancés comme des balles pour jouer ou tuer, pour rire ou pour pleurer, pour mourir et pour vivre.

On parle beaucoup de la mort, trou dans le langage que l’on s’efforce de boucher ; de dieu aussi, dont l’anagramme est vide (u et v s’écrivent pareillement), trou dans le langage, qui donne la parole pour qu’on puisse l’entendre. « La parole ne nomme pas, elle appelle » et chaque fois qu’elle nomme, si c’est pour l’univocité, il y a fort à parier qu’elle trompe, tyrannie, dictature, insignifiance.

Les mots, c’est comme les humains, il n’y a pas les méchants et les gentils ; il n’y en a pas un bon et un mauvais usage… On passe du sens à l’absurde sans même s’en apercevoir, mais c’est trop tard et le mal est fait (ainsi la tirade de L’infini romancier). Tout est toujours mélangé, risqué, susceptible de se retourner, partagé (jusques et y compris dans la prière à moins qu’elle ne soit « vide au milieu du langage, hors du corps et au milieu de nous. Il y a toujours, en toute chose, un centre, le creux de cette place muette : la prière ».

Il y a sans doute des longueurs dans le texte de plus de trois heures. Il y a des passages pas assez expurgés, trop didactiques, jusqu’à saouler. Mais quelle jouissance du ou des jeux, un coup de dés mallarméen, avec les mots, par les acteurs, usage de différent genres littéraires, humour, ironie, poésie, musicalité de lalangue dirait Lacan.

Le texte est disponible chez P.O.L., Paris 2023

Alexandre Tharaud / Benjamin Millepied

Trois soirs de suite, lors des Nuits de Fourvière, le pianiste et le danseur font partager leur rencontre, peut-être leur amitié, en tout cas, leur passion pour la musique et la danse. Ils ont des choses à se dire, des musiques à partager et à écouter ensemble, à danser ensemble.

Le cadre du théâtre antique, la nuit sur la ville voient leur magie propre pâlir à côté de celle qu’offrent les deux artistes. Le chorégraphe se remet à la danse et les deux solistes, comme sur un tapis volant, nous transportent au monde de la complicité, de la douceur, des facéties, de la violence parfois.

On multiplie les techniques et dispositifs, peut-être un peu trop. Parce que la dernière sonate de Beethoven ne s’écoute que les yeux fermés, et qu’il faut bien les garder ouverts si l’on voir ce qu’en souligne le danseur, ce qu’il aide à en entendre.

On ressort en se demandant où l’on a été pendant cette grosse heure passée en leur présence. Si, si, c’était bien la vraie vie, ce n’était pas un rêve. La vie peut donc être si belle ! Merci

Rencontres d’automne

Echelle de Jean-Jacques PIGEON

Arts Plastiques

Le 6 novembre 2022, Arts, Culture et Foi était présent à la clôture de l’année de la Galerie La Praye à Fareins (01) qui inscrit plusieurs de ses expos dans le cadre de la Biennale d’Art Contemporain de Lyon.

Une échelle, œuvre de Jean-Jacques PIGEON pour doubler l’escalier un peu étroit, aérienne, pouvait être celle de Jacob, pour la paix ou l’accès des minorités sexuelle à une société ouverte.

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