
Guillaume Poix, perpétuité, Gallimard, Paris 2025
Le quatrième roman de Guillaume Poix est autant une fiction qu’une enquête sociologique sur le travail de surveillant de prison et de cadre pénitentiaire. Accueilli plusieurs nuits pendant trois ans au Poste Central d’Information d’une maison d’arrêt, l’auteur décrit et met en scène une société parallèle, le plus souvent ignorée ou méprisée par le reste de la population, prolétariat, contre-maîtres et dirigeants de la fonction publique de l’incarcération. On ne voit pas tout de la prison, mais ce qui s’y passe ou peut s’y passer la nuit.
Il ne s’agit pas seulement et factuellement de raconter un métier, mais son insertion dans la vie d’hommes et de femmes, avec leur histoire, leurs soucis, leurs provenances sociales, etc. Si les portes sécurisées et les barreaux enclosent un microcosme, les agents de la Pénitentiaire ne passent pas leur vie en prison. L’étanchéité des murs n’est que partielle.
Il y a les drones et les projections, ce qui entre par le parloir et la « cantine », il y a l’intervention de nombreuses personnes, avocats, greffiers, enseignants, animateurs d’activité (« le socio »), les aumôniers. Il y a le téléphone, ceux qui sont permis et les autres. Il y a surtout la vie de chacun qui, pas plus pour les détenus que pour les surveillants, ne s’arrête à la prison. Certes, pendant qu’on est en détention (c’est ainsi que les surveillants nomment leur présence en bâtiment), on n’a aucun lien avec l’extérieur (seule la direction entre son téléphone portable).
Si la durée moyenne d’une incarcération est de 11,4 mois en 2025 (elle était de 6,9 mois en 1994 et 8,7 en 2003), ce sont les agents pénitentiaires qui prennent perpétuité. Bien sûr, comme ailleurs, on n’y reste quelques mois ou toute une carrière, mais c’est toute la vie qui est prise par et dans le monde de l’intérieur ; les astreintes et les postes de nuit, week-end et jours fériés (l’activité ne s’arrête jamais, sans jours chômés ni heures de fermeture), le manque de personnel et l’absentéisme en rajoutent au sentiment d’être surveillants 24h/24 et 7j/7. Pourtant, on ne peut guère en parler, si ce n’est entre soi ; il n’est ni prudent d’un point de vue de sécurité, ni bien vu socialement, de dire que l’on est « gardien de prison ».
Le roman de Guillaume Poix, outre l’agrément romanesque d’un récit choral mené de main de maître, unité de lieu, de temps et d’action oblige, fait acte citoyen : il informe sur ce qui se passe derrière les barreaux, réfléchit au sens de la peine d’incarcération, constate l’état de carence où se trouvent les prisons françaises, l’humanité, les souffrances et dangerosités des détenus, autant que celles du personnel.











