Qu’un seul tienne et les autres suivront

de Léa Fehner

France, 2h00, 2009.

Mostra de Venise 2009, section Giornati degli autori; Festival de Deauville, prix Michel d’Ornano 2009.

Sortie en France le 9 décembre 2009.

avec Farida Rahouadj, Reda Kateb, Pauline Etienne, Vincent Rottiers.

Qui sont ceux qui viennent dans les parloirs des prisons ? Malgré l’éloignement, la difficulté, l’humiliation, la lassitude, comment certains tiennent dans leur propre vie ? Un très beau film qui décline plusieurs visages de la résistance.

qunseul2.jpgPremier long métrage d’une jeune réalisatrice française, Léa Fehner, Qu’un seul tienne et les autres suivront est un film étonnant. Il fait preuve d’une lucidité peu commune sur la façon dont les jeunes générations perçoivent les problèmes de la société actuelle. Loin du discours alarmiste des médias face à  l’insécurité, à  la crise économique, au débat sur l’identité nationale et au désabusement ambiant, les personnages de Léa Fehner sont héroiques.

Personnages de ce siècle, que nos sociétés de nantis qualifient trop hâtivement de « perdants », ils deviennent des héros parce qu’ils sont des battants, parce qu’ils ne croient pas que les choses sont figées et, n’y croyant pas, ils arrivent parfois à  faire bouger le monde. Héros parce qu’avec leurs visages ramollis par les années, déchirés par la vie ou encore rebondis de trop de jeunesse, la réalisatrice les filme avec une beauté fulgurante. Dans une maison en ruine, un appartement abject, une chambre épurée, elle trouve des teintes et des lumières évoquant des peintures classiques et toute une humanité en marche depuis longtemps.

Si le point d’orgue du film est le parloir d’une prison, c’est surtout la vie de ceux qui sont à  l’extérieur qui est montrée. Ceux qui pensent, pour des raisons très diverses que ça vaut le peine de venir dans cet endroit hostile, au milieu d’un vide urbain, pour tenter de reconstruire de l’humain, de remplir les absences. Il y a 5 ou 6 personnages, très différents les uns des autres, que les acteurs incarnent avec un naturel à  la fois juste et retenu. Vincent Rottiers en racaille au charme ravageur, qui n’a peur de rien. Pauline Etienne, une très jeune fille qui joue au football et a des airs de Madone lorsqu’elle tombe amoureuse, Farida Rahouadj en mère blessée, Reda Kateb qui engueule tout le monde parce qu’il ne sait pas se débrouiller tout seul. Et d’autres encore. Tous saignent, pleurent, se font raccommoder et repartent. Entre petites magouilles et vraies questions éthiques, ils sont les héros inconnus de notre temps.

qunseul3.jpgA travers la caméra de Léa Fehner, les vies les plus ordinaires pétillent d’une belle énergie. Les personnages les plus « condamnables » sont traités avec le respect de ceux qui les aiment malgré tout. Au parloir de la prison, elle construit un théâtre où les histoires intimes se répondent, un étrange ballet où les murmures des conversations, entre ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors, servent de musique. Dans ce profond mal être, il y a pourtant de l’espérance.

La scène d’ouverture de Qu’un seul tienne et les autres suivront est une scène très forte et bouleversante où une femme crie sans que personne ne prenne la peine de lui répondre. La scène finale donnera au spectateur une explication mais pas de réponse et il réalisera alors à  quel point il est impliqué dans cette fiction.

Quant au titre, voici ce qu’en dit la réalisatrice : « Je voulais un titre qui soit comme un appel, une parole de résistance, une injonction à  « tenir » face à  l’adversité que chacun de mes personnages traverse. Quelque chose qui parle aussi du courage que chacun déploie au coeur de son histoire. Une idée à  laquelle… je tiens. J’ai toujours eu envie de montrer des personnages qui essaient de tenir debout, d’attraper leur histoire quel que soit leur environnement, quelles que soient les difficultés qu’ils traversent, c’est peut-être cette notion de dignité que j’ai trouvée dans ce titre-là . »

Magali Van Reeth

Signis

Pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés