Harragas

de Merzack Allouache

Algérie/France, 1h35, 2009.

Sortie en France le 24 février 2010.

avec Lamia Boussekine, Nabil Asli, Samir El Hakim, Seddik Benyaqoub

Un film qui dénonce les dangers de l’immigration illégale mais aussi les conditions de vie qui poussent tant de jeunes à  préférer mourir en mer que de vivre sur une terre où ils ne trouvent pas leur place.

Délaissant le ton de la comédie – Chouchou (2003) et Bab el web (2005) – Merzack Allouache choisit un sujet et un ton plus grave avec Harragas. Réalisateur français né en Algérie, il tourne cette fois uniquement en Arabe – l’Arabe parlé, saupoudré d’expressions françaises, d’Algérie – et avec des acteurs peu connus pour dénoncer les dangers de l’immigration illégale qui fait chaque année des milliers de morts.

Harragas, c’est ainsi qu’on appelle ceux qui tentent le passage par la mer, les brûleurs. Terme poétique et terrible qui dit bien la fièvre qui pousse au danger et le risque de passer à  l’acte. Mais quel avenir pour tous ces jeunes qui zonent dans les cités minables des banlieues des grandes villes d’Algérie ? Le début du film montre leur désarroi, leur ennui, leur dégoût d’une vie où rien ne leur est permis, leur étouffement presque physique dans une société où ils ne peuvent prendre leur place. Certes, il y a les problèmes économiques mais pas seulement. Pouvoirs religieux et politiques, poids des traditions, tout pèse lourd sur les épaules de ceux qui ont le regard fixé sur l’autre rive de la Méditerranée et ses attraits, qu’ils soient chimère ou réalité.

harragas2.jpgLe prix du passeur, la fragilité de l’embarcation, la méfiance des autres compagnons de voyage, la météo, les gardes-côtes européens, tout est danger et pourtant, chaque jour, ils sont prêts à  mourir pour aller vivre ailleurs. Merzak Allouache a cherché à  comprendre : « J’ai écrit cette histoire après avoir longuement travaillé à  me documenter tant sur la base de témoignages directs, que sur des articles de presse, ou des rencontres diverses avec des jeunes concernant le problème dramatique et totalement nouveau que vit l’Algérie : le phénomène des clandestins surnommés « harragas » ou « brûleurs » qui fuient leur pays clandestinement pour échapper à  la misère. Ce sont pour la plupart des jeunes gens, en Algérie les jeunes représentent plus de 80% de la population. Leur soif de vie est freinée par la difficulté du quotidien, du chômage et ils sont prêts à  tout pour tenter de vivre ailleurs. Imitant les Africains, les Marocains, les Tunisiens, des centaines de jeunes Algériens franchissent régulièrement la Méditerranée au risque de leur vie. Lorsque j’ai commencé à  écrire mon scénario, j’étais loin de me douter que ce problème allait prendre une telle ampleur pour devenir « une préoccupation nationale » censée interpeller les plus hautes autorités algériennes. Malgré des départs de plus en plus nombreux, des corps sans vie repêchés chaque semaine, des articles de presse virulents, la constitution d’associations de parents de jeunes disparus en mer, aucune véritable solution humaine et politique n’est envisagée pour circonscrire ce phénomène qui touche un pays pourtant riche par sa rente pétrolière. La répression est telle qu’un jeune clandestin risque aujourd’hui cinq ans de prison pour tentative de traversée illégale de la Méditerranée. »

Avec beaucoup d’affection pour ses personnages, finalement assez différents dans leurs désirs d’ailleurs, le réalisateur nous embarque pour une aventure à  l’issue plus qu’incertaine. Pas de jugement hâtif mais un brin d’humour parce que même dans les situations les plus désespérées, le rire peut être présent.

Harragas est une œuvre de fiction qui dénonce une situation actuelle. Par cette démarche, Merzack Allouache se situe aux côtés de tous ces artistes qui, à  travers un mode d’expression unique et personnel, ont sensibilisé leurs contemporains aux enjeux de société, au devenir d’une humanité. Le film et ses personnages font notamment écho à  deux célèbres tableaux de la peinture classique française : les naufragés du Radeau de la Méduse de Géricault, luttant pour leur survie avec une incroyable énergie, et les combattants de La Liberté guidant le peuple de Delacroix, risquant leur vie pour un avenir meilleur. Comme quoi la liberté et la mort sont encore intimement liées

Magali Van Reeth

Signis

Pour marque-pages : Permaliens.

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