Mystères de Lisbonne

de Raoul Ruiz

Portugal, 4h26, 2010.

Sélection officielle au Festival de Toronto 2010 et au Festival de San Sebastian 2010.

Sortie en France le 20 octobre 2010.

avec : Adriano Luz, Maria Joao Bastos, Joao Luis Arrais, Clotilde Hesme, Léa Seydoux, Melvil Poupaud.

Avec une grande liberté d’exécution, due à  son immense talent et à  sa notoriété internationale, Raoul Ruiz offre un beau cadeau aux cinéphiles, un film énorme et foisonnant qui prend le temps de faire toutes les digressions que l’art rend nécessaires.

S’inspirant des Mystères de Paris d’Eugène Sue, le romancier portugais Camilo Castelo Branco fait paraître en 1854 les Misterios de Lisboa. Vaste fresque populaire que le producteur Paulo Branco a demandé à  Raoul Riuz de mettre en scène. Conçu au départ comme une série télévision en 6 épisodes d’une heure, il a été remonté pour en extraire un film à  part entière. Non pas un résumé ou un condensé de la série, mais une œuvre autonome où le réalisateur, libéré de toute contrainte, exprime librement son talent.

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Le film est très long, près de 4h30 et les personnages surgissent tels des poupées russes, de scène en scène. Il est donc difficile de résumer l’intrigue en quelques mots. Mais on peut planter le décor : l’Europe de Napoléon. Deux personnages principaux servent de trame narrative : un jeune garçon, orphelin, élevé dans une institution religieuse et qui changera plusieurs fois de nom au fur et mesure du déroulement de sa vie ; et son protecteur, un prêtre, homme mystérieux qui sait beaucoup de choses mais ne dit pas tout.

Dans la chambre de l’enfant, austère et dépouillée, le seul objet qui ne soit pas strictement utile est un théâtre de papier, unique jouet de cet enfant solitaire qui imagine une autre vie à  l’aide de silhouettes en papier qu’il déplace entre les rideaux rouges bordant l’espace de représentation. Ainsi, dès les premières scènes du film, Raoul Ruiz prévient le spectateur que nous sommes au royaume de l’imaginaire, du jeu et de la représentation de la réalité. Du vrai cinéma en somme ! Alors, il nous empoigne, avec une vigueur presque physique, dans un ample voyage, à  travers les destins rocambolesques de très nombreux personnages.

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Le film est découpé en chapitre, chaque chapitre étant une nouvelle histoire dans l’histoire précédente et leur succession semble se faire de plus en rapide à  mesure que le film se déroule sous nos yeux. Le foisonnement des personnages est accompagné de celui des costumes, couleurs vives, tissus chatoyants, uniformes militaires ou religieux, et du rythme et de la sonorité de plusieurs langues (notamment le portugais et le français). Souvent l’intrigue rebondit, parfois le temps s’arrête pour une scène très intimiste, la durée étant camouflée par la densité de l’histoire, l’exubérance des images.

Si le projet est inclassable au niveau du format, il l’est tout autant sur la question du genre. Une caractéristique que Raoul Ruiz revendique : « Narratif, il ne l’est pas puisqu’il ne respecte ni les trois actes, ni les conflits centraux, ni la théorie de la volonté qu’implique la fabrication du cinéma américain « quelqu’un veut quelque chose ». Et il n’est pas expérimental non plus, il est un tout. Le film est construit selon un principe de plans-séquences qui intègrent d’autres plans que le spectateur imagine. »

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Comme souvent dans les films du réalisateur d’origine chilienne, on est plongé dans un univers baroque, déstabilisé par la confusion entre le réel et l’imaginaire. Dans ces histoires enchevêtrées de l’enfant recueilli et du prêtre, nous sommes convoqués dans le grand théâtre de la vie où les mystères les plus épais ne sont dus qu’à  notre ignorance ou notre manque d’observation. Où l’humour nait aussi de l’exaspération, lorsque le spectateur se voit embarqué dans une autre histoire. Où la lenteur qui tisse cette épaisseur romanesque est celle de la mesure d’une vie. Chaque histoire nait dans une autre histoire comme chaque enfant nait dans l’histoire commune de ses parents. Rien n’est jamais finit, rien n’est vraiment nouveau, nous sommes tous des enfants en état de rêve à  l’aube de nos vies, nous sommes tous des spectateurs fascinés par les miroirs de notre destinée que nous tendent les artistes.

Une très belle expérience de cinéma pour les spectateurs prêts à  s’embarquer dans un grand voyage en compagnie de Raoul Ruiz et d’une cargaison de personnages, convoqués pour attester du brouhaha de la vie et de la nécessité de l’art.

Magali Van Reeth

Signis

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