Histoires de Shanghai, I Wish I Knew

de Jia Zhang Ke

Chine, 2h18, 2010.

Sélection officielle Festival de Cannes 2010, Un Certain Regard.

Sortie en France le 19 janvier 2011.

documentaire

Evocation la ville de Shanghai, telle qu’elle fut autrefois et telle qu’elle est aujourd’hui, le film dépasse les frontières urbaines pour se rapprocher de l’intimité des ses habitants et d’une belle réflexion artistique.

Parmi les grands réalisateurs chinois contemporains, Jia Zhang Ke a une place à  part. Très loin d’un cinéma commercial, il a toujours réussi à  parler de la réalité de son pays en évitant les censeurs. Aussi à  l’aise dans la fiction que dans le documentaire, il crée des œuvres originales au carrefour d’autres tendances artistiques. Plus connu en Europe (il est présent dans de nombreux festivals) que chez lui, il est pourtant fortement attaché à  rendre compte des transformations de son pays. Il a notamment réalisé Still Life (2006), sur les préparatifs de la mise en oeuvre du barrage des Trois gorges, un film beau et poignant.

wish5.jpgJia Zhang Ke n’est pas originaire de Shanghai et le sujet du film est une commande pour l’Exposition universelle qui s’est tenue dans cette ville en 2010. En parcourant les lieux, le réalisateur a vite senti le poids de l’Histoire : « En observant de près à  travers mes films, les changements historiques de la Chine depuis plus d’une décennie, mon intérêt pour l’Histoire s’est accru. Il m’est apparu que la plupart des problèmes de la Chine contemporaine ont un ancrage profond dans son passé. En Chine continentale tout comme à  Taïwan, la vraie nature des événements survenus dans la Chine moderne ont été dissimulés par le pouvoir. Comme un orphelin angoissé à  l’idée de découvrir ses origines, j’ai ressenti l’urgence de savoir ce qui se cachait derrière les récits familiers de l’histoire officielle. Comment les individus ont-ils réellement vécu ces événements récents ? Je me suis donc rendu avec ma caméra à  Shanghai afin de retrouver la trace des habitants qui ont quitté la ville pour Taïwan ou Hong Kong. La plupart des destins des personnages qui ont construit la Chine moderne sont liés à  Shanghai. Les événements qui ont bouleversé la ville ont eu un retentissement national et ont marqué douloureusement et profondément la vie des habitants qui sont partis. J’espère que mon film dépassera les querelles politiques et touchera au plus près des souffrances du peuple chinois.wish4.jpg

L’histoire de Shanghai est émaillée d’un lexique de termes historiques compliqués : « colonie », « Révolution », « libération », « révolution culturelle », « réforme » ou « ouverture ». Ce qui m’intéresse, ce sont les individus cachées derrière ces termes abstraits ; les victimes des diverses politiques et les détails oubliés de leurs vies. Alors que j’étais assis face aux personnages de mon film et que je les entendais raconter si calmement un passé tellement effrayant, j’ai réalisé que ma caméra capturait ce « rêve de liberté » qui brillait encore dans le fond leurs yeux. Et cela m’a ému jusqu’aux larmes. »

Tissant alors son film comme une fresque, Jia Zhang Ke a entremêlé les vues de la ville aujourd’hui avec des témoignages oraux et des images d’archives, déposé le contemporain sur le socle du passé. 18 personnes parlent devant la caméra, 18 personnes filmées comme des vedettes de cinéma. Confortablement installées sur un siège choisi avec soin, elles sont habillées avec élégance et raffinement, on devine qu’il s’agit de leurs habits préfères. Le décor est toujours bien visible : café populaire, entrepôt en ruine, piste de vitesse, intérieur d’un théâtre ou train de banlieue, rien n’est laissé au hasard dans le cadre qui cerne le témoignage, la prise de parole. D’une voix calme, sans colère mais avec parfois quelques larmes, tous évoquent leur histoire personnelle quand elle se fond avec celle de la ville. Le XXème siècle a été tourmenté et les cicatrices sont encore bien visibles. Mais l’avenir est à  investir comme le montre avec humour le dernier témoignage.wish3.jpg

Histoires de Shanghai fait la part belle au cinéma. Par le soin apporté à  la réalisation de ce film, que ce soit dans la lumière, la photo, la mise en scène, le souci de toucher au plus près la vérité en cherchant le beau. Mais aussi avec des images de films tournés dans la ville, des paroles de cinéastes ou d’actrices, encore célèbres ou déjà  oubliés. Les va-et-vient entre Shanghai, Hong-Kong et Taïwan sont nombreux, les bateaux faisant le lien sur cette mer toujours commune, qui permet la fuite et le retour, qui permet de beaux mouvements de caméra.

Traversant le film de part en part, une jeune actrice, Zhao Tao, au visage énigmatique, silhouette blanche, presque transparente, nous guide dans la ville actuelle. Fantôme, ange ou frisson, elle emporte le documentaire vers la fiction, le réalisateur brouillant une nouvelle fois les limites des genres bien établis pour construire une œuvre très personnelle. On reste durablement impressionné par l’atmosphère particulière de ces Histoires de Shanghai.

Magali Van Reeth

Signis

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