Hors Satan

de Bruno Dumont

Festival de Cannes 2011, sélection Un Certain Regard.

France, 1h50, 2011.

Sortie en France le 19 octobre 2011.

avec David Dewaele, Alexandra Lematre.

Dans les rudes paysages du Nord de la France, passe un homme mystérieux, solitaire, priant et guérisseur. Un film âpre où se mêlent la grâce et le Mal dans de sublimes moments de cinéma

A travers tous ses films, Bruno Dumont a montré qu’il était un réalisateur inspiré et exigeant, profondément marqué par la figure du Christ. On peut voir toute son œuvre comme la douloureuse quête d’une présence divine, bien que le réalisateur se dise athée. Il traite la question du sacré, de la transcendance et du mal dans la société actuelle, avec une obstination troublante. Comme le paysan de la fable qui racle son champ pour y trouver un trésor. Dans ses films, la rencontre entre la grâce des paysages et la violence obscène des hommes se traduit par une empoignade physique qui laisse de nombreux spectateurs en état de profond malaise. Qu’ils soient ou non croyants.satan2.jpg

Le titre même de son dernier film, Hors Satan fait référence à  l’écrivain Georges Bernanos et à  son roman Sous le soleil de Satan. Le personnage principal est un solitaire, un taiseux, un guérisseur. Il arpente avec calme les landes austères des plages de la mer du Nord. Une jeune femme le suit, presque à  la trace, de façon quasi animale. Peu de personnages, peu de dialogues, du mystère épais comme la brume d’automne, du silence et le vent qui doit bien finir par rendre fou.

Par moment, la caméra se pose sur un champ, au lever du soleil, découvrant deux silhouettes à  genoux, comme en prières. Et le juste équilibre entre la lumière, la composition du plan et ce qu’il éveille en nous spectateur, donne à  voir du sublime, un tableau de maître. Le réalisateur arrive à  faire passer une présence physique, à  donner une âme à  cette image, à  y mettre ce que certains peuvent nommer la présence physique de Dieu Dans d’autres plans, la violence éclate en l’absence de bruits, que ce soit un accouplement sans aucun geste de tendresse, les traces d’un meurtre ou un regard plein de haine. On verra aussi des symboles et des références bibliques tout au long du film, que ce soit un personnage qui marche sur l’eau, une croix, un brasier purificateur ou un miracle.satan3.jpg

Ce mélange de beauté fulgurante, qui saisit vraiment le spectateur, et de malaise ressenti en quasi permanence dans les plans les plus ordinaires, est la marque des films de Bruno Dumont. Partagé entre la douceur de la contemplation et l’incarnation du mal, on est plongé au cœur même de l’énigme du cinéma.

Dans le cinéma contemporain, le travail de Bruno Dumont est remarquable. D’une part, par sa maîtrise de plus en plus poussée de la mise en scène et de l’écriture cinématographique ; d’autre part, par sa volonté, en tant que non croyant, de traiter de la question du mysticisme, de la foi, de la religion dans notre société actuelle. Hors Satan est un film énigmatique, trempé dans des symboles religieux qu’il est souvent difficile d’interpréter. C’est un film dérangeant, où l’obscène et la grâce se font écho, le miracle et le parjure peuvent heurter. C’est un univers dépourvu de joie. En l’absence de Dieu, la douleur des hommes se cogne aux sillons de la terre.

Magali Van Reeth

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En prolongement du film Hors Satan, voici quelques extraits d’un entretien entre Bruno Dumont et le journaliste de cinéma Jean-Michel Frodon, tirés du document édité par le Groupement national des cinémas de recherche et Pyramide (distributeur film en France).

La mise en scène : « La mise en scène vise à  rendre visible la force qui émane de personnages et de situations qui, en eux-mêmes, sont souvent ordinaires, ou pourraient passer pour tels en étant filmés autrement Ces rapports de force constituent l’art probable de la mise en scène elle-même. »

Le miracle : « J’ai longtemps cherché comment filmé une telle situation d’une manière qui n’implique pas une relation à  la religion. Je ne suis pas croyant, mon film ne contient l’exigence d’aucune autre foi que dans le cinéma. Puisque pour moi, le cinéma c’est ce qui permet de faire place à  ‘extraordinaire dans l’ordinaire, et de laisser percevoir ce qu’il y a de divin chez les humains, de l’éprouver. C’est ce qui rapproche le cinéma de la mystique : la mystique dit « regardez la terre, vous verrez le ciel ». Et bien e cinéma, avec ses appareils peut faire ça. Et il n’a plus besoin de religion pour autant. »

Le décor : « J’ai besoin de cette puissance de la nature pour donner de l’intensité à  des scènes où souvent il va se passer des choses très simples. »

Le bien et le mal : « Il s’agit de se confronter à  ce monde, et à  la possibilité d’agir, pas d’aller prêcher ce qui est bien ou ce qui est mal. Le film ne fait pas la morale, il prend acte de gestes. Il est par-delà  le bien et le mal, à  sa manière. Et après, ça se passe dans le for intérieur de chacun : le film a vocation à  susciter les réactions de chacun pour lui-même, pendant et surtout après le film, à  partir des expériences éprouvées pendant qu’on le regarde. Je ne fais absolument pas un « cinéma d’idées », je fais un cinéma de sensations, à  partir des paysages, des présences physiques, des sons. »

Filmographie

1997 : La Vie de Jésus

1999 : L’Humanité

2003 : Twentynine Plams

2006 : Flandres

2009 : Hadewijch

2011 : Hors Satan

site Bruno Dumont : http://www.brunodumont.com/

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