L’Ordre et la Morale

de Mathieu Kassovitz

France, 2h16, 2010.

Sortie en France le 16 novembre 2011.

avec Mathieu Kossovitz, Iabe Lapacas, Malik Zidi.

Courageusement, un cinéaste français revient sur un événement tragique de l’histoire de la décolonisation de son pays mais, trop appliqué à  donner son point de vue et à  incarner une thèse, oublie parfois le cinéma.

Le nouveau film de Mathieu Kassovitz – acteur, réalisateur et producteur français prolifique et talentueux – est sans doute le plus réaliste de tous ses films puisqu’il raconte des événements véridiques, historiques même. Mais il pose une nouvelle fois la question de la fiction au cinéma lorsqu’elle s’inspire de faits réels. ordre3.jpg

En avril 1988, le gouvernement français était sous le régime de la cohabitation (le président de la République et le premier ministre appartiennent à  des partis politiques opposés) et entre deux tours d’une nouvelle élection présidentielle (où ces deux personnes s’opposaient). En Nouvelle-Calédonie, territoire français aux antipodes de la métropole, des Kanaks (habitants originaires du territoire) prennent en otage un groupe de gendarmes pour s’opposer à  une série de mesures politiques qu’ils estiment discriminatoires pour leur culture. L’assaut final est tragique.

Le sujet est encore brûlant et provoque de très vives réactions. Pour construire son film, Mathieu Kassovitz s’est basé sur le livre de Philippe Legorjus, capitaine du GIGN (force militaire d’interventions spéciales), chargé des négociations avec les ravisseurs. Dans son récit, l’auteur montre que si les négociations étaient sur le point d’aboutir à  une relâche pacifique des otages, les hommes politiques ont délibérément préféré un acte de force et d’autorité à  des fins purement électoralistes. Le réalisateur a aussi passé de longs moments en Nouvelle-Calédonie, en compagnie de Kanaks ayant perdu des membres de leur famille à  ce moment-là .ordre2.jpg

Dans ce contexte délicat, on sent que le réalisateur, qui interprète aussi le rôle principal, essaye d’être au plus près de son sujet, de ne rien omettre du récit des protagonistes, de coller à  la réalité. Et ce faisant, il oublie trop souvent le cinéma. Certes, il arrive bien à  nous communiquer son plaisir de petit garçon qui adore jouer au soldat, rouler en jeep, habillé en treillis, la mitraillette à  la main et le regard perdu dans le ciel de ces aventures héroïques et dangereuses où tournoient de bruyants hélicoptères Une fois la projection terminé, il reste bien une ou deux scènes de vrai cinéma, notamment celles où on ne joue plus aux soldats, comme lorsque Philippe marche avec le substitut du procureur, avouant son impuissance, ou lorsqu’il téléphone à  sa femme (enfin une femme de gendarme « normale » et non pas une hystérique toujours dans la plainte !) mais on a la sensation d’être passé à  côté du vrai sujet du film : le débat entre l’Ordre et la Moraleordre4.jpg

A force de vouloir bien faire, Mathieu Kassovitz n’arrive pas à  transformer la problématique de son personnage principal en une tragédie qui emporte l’adhésion des spectateurs. On reste à  distance de ce jeune homme qui fait ce qu’il peut pour sauver la vie de quelques hommes, pour donner de la dignité à  son métier, à  son pays. Mais on n’entre jamais dans un débat de conscience qui nous touche, on ne participe pas à  l’argumentaire entre servir ou trahir. Le film est un récit linéaire des événements d’avril 1988, honnête et soigné, mais L’Ordre et la Morale manque de souffle pour convaincre et émouvoir.

Magali Van Reeth

Signis

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