Sur la planche

de Leïla Kilani

Maroc/France/Allemagne, 2010, 1h46

Festival de Cannes 2011, Quinzaine des réalisateurs

Sortie en France le 1 février 2012.

avec Soufia Issami, Mouna Bahmad, Nouzha Akel.

Un film marocain, portrait plein d’énergie d’une jeunesse qui lutte pour sortir des carcans traditionnels et économiques, en déséquilibre permanent.

« Bouge ! » A l’heure où les printemps arabes secouent une partie du monde, Leïla Kilani, réalisatrice marocaine, met en scène une jeune femme qui, loin des débats politiques, a une façon bien à  elle de prendre sa vie en main. Badia, 20ans et apparemment sans attache, tente de survivre au quotidien à  Tanger. Tanger en ce début de 21ème siècle a perdu son aura romanesque en devenant zone franche entre l’Europe et le Maghreb. Lieu portuaire où se concentrent les industries occidentales qui embauchent majoritairement des femmes, plus fiables pour travailler le textile ou éplucher la crevette 8 heures par jour. planche2.jpg

Tanger est aussi le lieu où les hommes, immobiles et passifs, attendent un bateau vers l’Europe. Tournant résolument le dos à  leurs vies, à  leur pays. C’est ce contraste entre la passivité des hommes et l’énergie farouche, brute et déterminée des ouvrières envahissant la zone à  l’aube, qui a donné envie à  Leïla Kilani, jusqu’alors documentariste, de tourner cette fiction. Tanger est devenu le lieu de ceux qui ont quitté leur village et leur famille contre un salaire ou un rêve, où d’autres usages prévalent dans l’anonymat des rencontres.

« Bouge ! », Badia, « une crevette », semble ne connaître que ce verbe, comme si ce mouvement frénétique et perpétuel la rendait insaisissable par les forces obscures prêtes à  l’arrêter. Bouger, en déséquilibre permanent « sur la planche », celle qui peut vous faire couler à  pic ou rebondir ailleurs, Badia ne fait que ça. Le visage fermé, les poings serrés, elle ne relâche jamais la pression, ne se pose jamais. Pendant 1h45, on va respirer avec elle, bouger avec elle, toujours au bord de la chute, la mâchoire crispée sur sa détermination : ne pas s’arrêter. Dans son sillage, elle va entrainer avec elles d’autres jeunes femmes, jusqu’à  la cavalcade finale qui l’arrêtera pour de bon.planche4.jpg

Dans ce quotidien en accéléré et en souffrance, à  l’image de Badia, on a à  peine le temps de se demander ce qui la porte. Désir de s’en sortir, de s’enrichir, de s’affranchir ? Ne connaissant rien de la vie de Badia avant d’arriver à  Tanger, on imagine qu’elle va de l’avant pour ne pas que la misère la rattrape, un mariage arrangé ou une famille trop possessive. L’instinct de survie semble avoir remplacé toute idée de conscience ou de morale mais qui peut jeter la pierre à  ses filles que l’ordre économique a ravalée au rang d’esclaves ? Jusqu’au bout de cette trajectoire insensée, Badia nous happera, avec nos questions, et le mystère qu’elle porte bien emmuré sur son visage.

Sur la planche est un film qui brûle d’une énergie inhabituelle et montre la belle vitalité du cinéma marocain. Soufia Issami, l’actrice principale, lui apporte une aura exceptionnelle. Le film a été montré au dernier Festival de Cannes, dans la sélection de la Quinzaine des réalisateurs.

Magali Van Reeth

Signis

Pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés