Millefeuille

de Nouri Bouzid

Tunisie/France/Emirats arabes unis, 2012, 1h45

Festival cinémas du sud de Lyon.

Sortie en France le 5 juin 2013.

avec Souhir Ben Amara, Nour Meziou, Lofti Abdelli, Bahram Aloui.

Pour réussir un millefeuille, il faut des ingrédients très différents, un dosage parfait, de la délicatesse et du savoir-faire : sa réussite est tout aussi complexe que le vivre ensemble dans un pays en pleine mutation.

Si le titre français à  la saveur délicieuse d’une pâtisserie aussi légère que gourmande, il ne faut pas si fier. En arabe, le titre est Manmoutech : « je ne mourrai pas » Film après film, le réalisateur et scénariste tunisien Nouri Bouzid parle de ces hommes et ces femmes du Maghreb, coincés entre modernité et islam. Les femmes surtout qui payent de leur liberté, physique et intellectuelle, le dévouement à  leurs proches.21003835_20130507104336862.jpg

Zaineb et Aicha sont deux jeunes femmes, très amies, très complices. Elles travaillent dans la même pâtisserie élégante du centre-ville. A première vue, Zaineb semble la plus indépendante. Elle s’habille à  l’Européenne, a un fiancé dans le « bizness », dont la famille habite en France, et des parents plutôt compréhensifs face à  ses projets. Pour Aicha, la vie est plus sombre. Elle élève seule deux jeunes sœurs et ne sort jamais sans un voile soigneusement fixé sur sa chevelure. Deux événements vont bouleverser leur quotidien : la sortie de prison d’Hamza, le frère de Zaineb, la bouche pleine de phrases violentes pour imposer un intégrisme social et religieux, autrefois amoureux d’Aicha. Et Brahim, le fiancé à  la belle voiture qui, comme en passant, déclare que sa mère aimerait que Zaineb se couvre la tête.

Nouri Bouzid parle de la chance d’avoir pu tourner le film entre la fin des troubles de la Révolution et la mise en place d’un nouveau gouvernement. Cela lui a donné une grande liberté Si le film dénonce clairement la montée d’un islam outrancier, notamment chez les jeunes, il dénonce tout aussi clairement le rôle négatif des mères dans la transmission de traditions archaïques. Lorsque le fiancé Brahim annonce qu’il aimerait qu’Aïcha se couvre la tête, c’est au nom de sa mère et c’est la propre mère d’Aïcha qui s’empare de ce désir pour lâcher prise à  ses peurs. C’est l’une des scènes les dures du film, celle qui montre le rôle terrible des mères qui imposent à  leurs enfants leurs propres humiliations, leur propre enfermement. Et la lâcheté des pères qui se taisent.21003828_20130507104333471.jpg

Millefeuille redonne leurs responsabilités aux jeunes générations qui ont à  gérer cette Révolution. Comme Hamza, le jeune islamiste « dupé », tous croient en un avenir meilleur mais tous n’ont pas la détermination d’Aicha, qui sait parfaitement pourquoi elle choisit librement de ne pas sortir sans un foulard sur la tête. L’accordéoniste, si maltraité, est-il une métaphore de la place de la culture dans cette nouvelle société ? Une piste à  ne pas négliger pour l’éducation des nouvelles générations ?

Nouri Bouzi : « Je crois que la Tunisie a besoin d’un message de coexistence et non de concurrence. Il faut arrêter de violenter l’autre pour ses choix de société ou de vie. Il ne s’agit pas de pousser tout le monde à  être laïc. La religion occupe une place primordiale chez beaucoup de gens, mais c’est une affaire privée. Une conviction ne s’impose pas, elle se partage. »

Millefeuille a été présenté en avant-première au festival Cinémas du sud de Lyon, en mai 2013.

Magali Van Reeth

Signis

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