Chronique cinéma – Le Fils de Saà¼l

de Là szlo Nemes

avec Géza Rà¶hrig, Levente Molnà r.

Film hongrois. 1h47.

Grand Prix au festival de Cannes 2015. Interdit aux moins de 12 ans.

Un premier film magistral et qui fera date. Une leçon de cinéma et un oratorio déchirant sur les tréfonds de l’humanité : sombres et lumineux à  la fois

Il est des films inclassables tant la puissance de leur sujet les mettent d’emblée hors normes, hors cadre. Le Fils de Saà¼l est de ceux-là . Le philosophe Georges Didi Huberman qui a écrit une longue analyse de ce film dans un ouvrage à  paraître le 5 Novembre « Sortir du noir » commence ainsi son texte : « Votre film « Le Fils de Saà¼l » est un monstre. Un monstre nécessaire, cohérent, bénéfique, innocent »
Ces quatre adjectifs s’appliquent bien à  ce film qui fera date dans l’histoire du cinéma car il est unique. Il raconte la vie de Saul Auslà¤nder membre d’un Sonderkommando, ce groupe de prisonniers juifs forcé d’assister les nazis : ils accompagnaient les déportés jusqu’aux douches mortifères, les entassaient dans les fours, récupéraient leurs vêtements, évacuaient leurs cendres dans un lac. Un jour, alors qu’il accomplit sa tâche près d’un crématorium, Saà¼l découvre le cadavre d’un garçon dans les traits duquel il croit reconnaître son fils. Il décide alors d’accomplir l’impossible : sauver le corps de l’enfant des flammes et lui offrir une véritable sépulture.

Là szlo Nemes est un jeune cinéaste hongrois qui a fait ses études en France. C’est en lisant des textes laissés par des membres des Sonderkommandos qu’il a écrit ce 1er film magistral. Des fictions ont déjà  tenté d’aborder la réalité des camps, celle de la Shoah. Pourtant le Fils de Saà¼l va encore plus loin car la démarche de Là szlo Nemes n’est pas de réaliser un film SUR les camps, de donner un point de vue à  postériori, de chercher des responsables ou des coupables mais de placer le spectateur dans le PRESENT de la vie de Saà¼l. On suit la vie d’UN homme confronté à  l’enfer.

Et le procédé cinématographique qu’il utilise nous plonge d’emblée dans les conditions de vie du prisonnier. Une courte focale et un format : le 35mm. Résultat : la caméra ne quitte pas Saà¼l,
(Nemes a travaillé caméra à  l’épaule) laissant l’environnement volontairement flou afin que le spectateur élabore sa propre lecture de la réalité. Rien n’est occulté de l’horreur de l’extermination : corps traînés par terre, sang lavé dans les chambres à  gaz, déportés juifs que l’on pourchasse nus.. Mais la caméra reste fixée sur Saà¼l, regard absent, pour mieux faire sentir sa déshumanisation et son absence à  la réalité qui l’entoure..jusqu’à  la découverte du corps du jeune garçon.

La bande son est d’une puissance inouïe, on entend de partout les cris des Kapos, des chiens, les hurlements des prisonniers mais de ces cris on ne sait rien. Que va-t-il leur arriver ? L’avenir n’existe pas, seul le PRESENT compte, oppressant, étouffant.
La révolte d’un Sonderkommando (qui a vraiment eu lieu) permettra à  Saà¼l de s’enfuir avec une dizaine de fugitifs après une recherche sans fin d’un rabbin pour enterrer selon la tradition juive le jeune garçon. La réalité aura raison de leur révolte.

Ce jeune garçon que Saà¼l a voulu inhumé était-il vraiment son fils ? Peu importe. En créant ce personnage d’adolescent, en donnant à  Saà¼l la tâche de le soustraire au four crématoire, Là szlo Nemes arrache à  la réalité macabre de l’idéologie nazie l’espoir qu’un homme a voulu sauver un peu de notre « humanité », pour que nous-mêmes sortions du noir de cette atroce histoire (G. D. Huberman).

Le silence s’abat sur la salle, groguy, après une telle plongée en enfer.
Le film a obtenu le Grand Prix à  Cannes cette année. Il méritait la Palme d’Or.

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19557603&cfilm=237178.html

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