Cinéma – Mes Provinciales

Un film de Jean-Paul Civeyrac

France – 2018 – 2 h 16

Jean-Paul Civeyrac, cinéaste discret, nous l’avons découvert (un peu tard), et beaucoup apprécié en 2014 avec le film Mon amie Victoria, tiré du roman de Doris Lessing Victoria et les Staveney.

Formidable retrouvaille du réalisateur avec ce nouveau film qui séduit tout autant par ce qu’il dit, que par la façon brillamment sobre et élégante avec laquelle il le dit.

Etienne quitte Lyon, son amie, ses parents, pour « monter à Paris », comme on n’ose plus trop le dire de nos jours…. Paris, car Etienne ambitionne de se lancer dans des études de cinéma, de rencontrer des gens de cinéma, et de pouvoir réaliser de vrais films, courts-métrages, et longs-métrages, un jour, peut-être. Et pour mettre un pied dans le monde du cinéma, Etienne en est convaincu, il n’y a que Paris !

Le film nous raconte en 2 h 16 que l’on ne voit pas passer, les multiples rencontres d’Etienne avec filles et garçons, tous plus ou moins dingues de cinéma. Toutes et tous, avec leurs caractères, leurs ambitions, leurs réussites et leurs échecs, vont conduire Etienne à se révéler, à se remettre en question, à prendre confiance, à désespérer, à rebondir, à aimer, parfois à trahir.

Face à ce jeune provincial lyonnais à qui Andranic Manet prête sa longue silhouette dégingandée, sa timidité, sa fraicheur, une certaine naïveté, et une gentillesse à toute épreuve, vont se retrouver ses colocataires, des étudiantes et des étudiants, un professeur, chacune et à chacun à un moment important de sa vie personnelle, de sa vie professionnelle, de sa vie sentimentale.

Ce qui constitue l’une des premières qualités du film, c’est la façon avec laquelle Civeyrac brosse les portraits de ses différents personnages, toujours avec une profonde empathie et beaucoup de finesse, même lorsqu’il s’intéresse à ceux qui ne suscitent pas immédiatement beaucoup de sympathie.

La deuxième qualité du film réside dans les innombrables citations et allusions culturelles qui émaillent et nourrissent le film, suscitant en permanence un vif plaisir chez les spectateurs amoureux fous de littérature et de cinéma, et qui trouvent un plaisir sans cesse renouvelé  dans la fréquentation des livres et des films. A tout moment, le film réveille l’envie de voir ou de revoir, de lire ou de relire, un film, un livre, inconnus ou oubliés.

Troisième qualité du film (un film qui parle de cinéma, et quand le cinéma parle de cinéma, c’est souvent, comme ici, très, très bien), c’est la manière qu’a Civeyrac de conduire sa narration, alternant scènes d’intérieur et scènes de plein air, avec déambulations dans les rues et les parcs et jardins de Paris (un Paris remarquablement photographié), discussions devant un verre à une table de bistrot. Tout cela rappelant souvent la lettre et l’esprit d’un certain beau cinéma des années 1960-1970, celui par exemple d’Eric Rohmer ou d’Agnès Varda.

La beauté du film éclate aussi dans les choix esthétiques du réalisateur, avec de superbes images en noir et blanc, magnifiées par un format scope qui les met particulièrement bien en valeur.

Aux côtés d’Andranic Manet, déjà cité, on admire toute une pléiade de jeunes comédiennes et comédiens, encore peu vus au cinéma, et qui se révèlent toutes et tous absolument remarquables. Joie de la découverte de nouvelles personnalités, et l’espoir de les retrouver bientôt.

Mes Provinciales, c’est le genre de film qui respecte complètement son public, lui laissant librement le choix de porter un éventuel jugement sur les personnages dont il brosse le portrait. Mais c’est aussi le genre de film qui sait conduire l’oeil et l’oreille du spectateur dans les territoires de la culture, en direction d’oeuvres d’art, films ou livres, souvent trop confidentiels, parfois inconnus, peut-être oubliés. Et qui nous aide ainsi à nous estimer, à tort ou à raison, un peu plus intelligents, seulement le temps d’un film, et pourquoi pas au-delà….

Quitter la salle de cinéma avec cette merveilleuse impression, c’est ressentir le plaisir rare d’un vrai grand bonheur de cinéphile.

Pierre Quelin

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