This Must be the Place, prix oecuménique à  Cannes

de Paolo Sorrentino

Italie/France/Irlande, 1h58, 2011.

Festival de Cannes 2011, prix du jury oecuménique

Sortie en France le 24 août 2011.

avec Sean Penn, Frances Mc Dormand, Eve Hewson, David Byrne

Un homme immobilisé dans son passé entreprend un itinéraire singulier à  travers un monde en plein devenir. Ce film célèbre à  la fois la difficulté de vivre et le bonheur d’y parvenir à  plusieurs.

Le visage de Sean Penn, grimé, hirsute et triste, provoque un vague malaise teinté de fascination. Le célèbre acteur américain interprète Cheyenne, chanteur de rock, autrefois célèbre et adulé, aujourd’hui pathétique souvenir d’une gloire passée. Vivant dans une léthargie que l’aisance matérielle ne perturbe pas, la mort de son père va l’obliger à  voyager. Ce déplacement géographique sera aussi un déplacement à  l’intérieur de soi.

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Dans son précédent film, Il Divo en 2008, le réalisateur italien Paolo Sorrentino traitait la question du pouvoir comme un opéra rock. This must be the place est le titre d’une chanson du groupe rock Talking Heads et de son créateur David Byrne. Elle sert de fil rouge au personnage de Cheyenne, parti à  la recherche d’un ancien nazi, de son père, d’une raison de vivre. Cette quête de soi, sur fond d’Holocauste et de modernité, traversée par l’immensité des paysages américains, est le moteur du film pour le cinéaste : « En ce qui me concerne, chaque film est une traque acharnée vers l’inconnu et le mystère. Pas tant pour trouver la réponse que pour garder vivante la question ».

Bien sûr, on est fasciné par l’interprétation de Seann Penn qui incarne totalement cet homme, fantôme de sa propre vie. Tous ses gestes se font au ralenti, il marche comme un vieillard, parle comme un jouet à  ressort déréglé et la tristesse de son regard est poignante. Maquillé de façon outrancière, sans doute pour qu’on ne le regarde pas, Cheyenne s’ennuie dans sa propre vie. De quoi a t-il honte ? Seann Penn trouve ce qu’il faut d’outrance et d’incarnation pour mettre de la fiction, et donc de la distance dans ce personnage, et par là  même, le rendre crédible.

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Face à  ce pantin triste, les autres personnages, même les plus insignifiants, sont des rencontres uniques. Les proches de Cheyenne sont d’une émouvante gentillesse et d’une tolérance si sincère qu’elles nous éclaboussent directement : qui sommes nous pour juger si hâtivement et avec si peu de compassion ? L’attention portée par le réalisateur à  tous les personnages, et son talent, lui permettent de les faire tous exister dans une étonnante humanité. Que ce soit la femme pompier à  l’enthousiasme et à  la patience infaillibles, l’homme d’affaire pathétique dans son désir de vivre, la punkette aux allures de chien fidèle, le chien à  collerette, l’inventeur de la valise à  roulettes, le soupirant timide ou les clients des cafés et des stations essence, tous nous renvoient à  nos peurs, nos réticences, nos jugements hâtifs.

Pour Paolo Sorrentino : « le thème central du film, modestement, c’est l’absence – forcément accompagnée de la présence – d’une relation entre un père et son fils ». L’absence est mise en scène par le vide des espaces habités et l’immensité des lieux parcourus. La présence est celle d’une mélancolie constante, accompagnée par la beauté de tous les plans. Luca Bigazzi signe les images de ce très beau film : paysages dorés de l’immensité américaine, mélancolie des banlieues irlandaises assoupies à  l’ombre de gigantesques centres commerciaux, temples du commerce et de l’anonymat devenus, ironiquement, lieu de sociabilité des laissés pour compte de la société de consommation.
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This must be the place est un film qui prend le temps d’installer ses personnages. Il laisse de l’espace au spectateur pour qu’il puise envisager plusieurs pistes et se poser des questions, au lieu de donner des réponses. L’humour et la mélancolie font bon ménage, à  l’image du couple formé par le chanteur et sa femme. Très vite, Cheyenne nous intrigue et on le suit d’autant plus volontiers qu’on a tout le loisir d’imaginer plusieurs dénouements. Dans une brillante mise en scène Paolo Sorrentino nous tient en haleine jusqu’à  la dernière image.

Prix œcuménique

Au Festival de Cannes 2011, le Jury œcuménique a décerné son prix à  This must be the place, accompagné du commentaire suivant : « A travers Cheyenne, rockstar déchue et douloureuse, Paolo Sorrentino donne à  suivre le voyage intérieur et l’odyssée d’un homme à  la recherche de ses racines juives, de la maturité, de la réconciliation et de l’espérance. Drame classique d’une grande richesse et d’une esthétique recherchée, le film ouvre avec grâce des pistes de réflexion graves et profondes. »

Ce jury œcuménique 2011 était composé de Daniel Grivel (Suisse, président), Gianluca Arnone (Italie), Françoise Lods (France), Martin Bernal Alonso (Argentine), Mikaël Mogren (Suède) et Christiane Hofmann (France).

Magali Van Reeth

Signis

Impardonnables

d’André Téchiné

France, 1h51, 2011.

Festival de Cannes 2011, Quinzaine des réalisateurs.

Sortie en France le 17 août 2011.

avec André Dussolier, Carole Bouquet, Mélanie Thierry.

Comme souvent chez Téchiné, on reste perplexe devant une brillante mise en scène dont on a du mal à  saisir le propos. Heureusement, Carole Bouquet est magnifique et suffit au plaisir du film !

Francis, la soixantaine encore fraîche, est un écrivain à  succès en panne d’inspiration. Il cherche refuge à  Venise. Il trouve Judith et l’amour, qui l’empêche vraiment d’écrire, mais lui permet d’élargir son cercle de relations, d’affiner la palette de ses sentiments et de compliquer un peu plus sa vie. impar2.jpg

Impardonnables est inspiré d’un roman éponyme de Philippe Djian. André Téchiné en fait un film sur la confusion, et choisit le décor en parfaite adéquation avec le personnage principal, Venise. Francis est un homme vieillissant, qui se sent couler dans ses assises et part vivre dans une ville qui sombre lentement dans la lagune qui la porte depuis des siècles.

Le brouhaha de la ville surchargée de touristes fait écho aux nombreux personnages secondaires qui vont et viennent tout au long du film, parfois à  peine entrevus. Les clichés romanesques ou esthétiques dont Venise est si friande, se retrouvent dans les clins d’œil au cinéma qu’André Téchiné pose ça et là . Le va et vient des personnages est accentué par les trajets en bateau qu’ils sont obligés de faire pour se déplacer d’île en île. Enfin, les dédales de Venise, qui permettent de si bien se perdre et de faire demi-tour quand on est dans une impasse, sont à  l’unisson de la complexité sentimentale et familiale dans laquelle vit Francis.

Heureusement, face à  ce chaos, il y a Judith. Agent immobilier à  Venise, elle en connaît tous les pièges, comme elle sait reconnaître un faux tableau d’un vrai. Elle sait ce qu’elle veut, elle est droite, honnête, patiente pour parvenir à  ses fins. Elle est interprétée par Carole Bouquet qui est simplement sublime Le couple qu’elle forme avec André Dussolier est un régal pour les cinéphiles !impar3.jpg

Finalement, et à  notre grande surprise, le film se termine sur une note optimiste. La confusion reste présente jusqu’au bout et nous gagne puisqu’on se demande encore ce qui est « impardonnable »

Magali Van Reeth

Signis

Melancholia

de Lars von Trier

Danemark/Suède/France, 2h10, 2011.

Sélection officielle Festival de Cannes 2011, prix d’interprétation féminine pour Kristen Dunst.

Sortie en France le 10 août 2011.

avec John Hurt, Kristen Dunst et Charlotte Gainsbourg

Après une introduction époustouflante, le film marche lentement vers une apocalypse abordée par le beau et l’apaisement. Surprenante et déroutante, pour un film un peu vain…

Lars von Trier est un réalisateur déroutant ! Autrefois promoteur du Dogma, manifeste pour une façon de filmer brute et naturelle (unité de lieu, de temps, pas de musique, pas de lumière artificielle), le réalisateur danois a exploré les possibilités de la comédie musicale avec Dancer in the Dark (2000), l’absence de décor dans Dogville (2003), la cruauté comme déclinaison des beaux-arts avec Antichrist (2009). L’outrance et la provocation accompagnent chacune des interventions de cet artiste qui se dit dépressif et associal. Il construit une œuvre unique qui pousse le cinéma vers l’exploration des failles du monde contemporain et une recherche formelle très exigeante.melan3.jpg

Melancholia peut se ranger dans la catégorie des films du genre « apocalypse ». Une planète inconnue menace la Terre. Y aura-t-il ou non collision, fin du monde ? Faut-il avoir peur, se préparer ? Deux sœurs. Claire est brune (on sent déjà  que le réalisateur est facétieux jusque dans ces détails), directe, responsable, sans artifice et elle est interprétée par Charlotte Gainsbourg. Justine est blonde, lumineuse, fantasque, et c’est l’angélique Krsiten Dunst. Deux sœurs de nature et de tempérament différents, qui s’aiment mais ont du mal à  s’entendre, comme ces deux planètes qui s’attirent pour, peut être, se détruire mutuellement.

Melancholia est un film d’apocalypse, mais une apocalypse lumineuse, apaisée. On ne verra pas de scène de panique collective, pas de cris, pas de vulgarité. Lars von Trier prend le parti de la beauté, du songe. La planète qui s’approche est une magnifique boule aux couleurs délicates, elle est somptueuse. Elle met des pétales de neige sur les jardins d’été, des reflets chatoyants sur les couchers de soleil. Comment peut-on redouter ce qui est si beau ?melan4.jpg

Le réalisateur ne lésine pas sur les effets, les costumes, les décors : château de conte de fées au bord d’un lac, immenses pelouses caressant les pieds nus des enfants au visage d’elfe, chevaux puissants, femmes étourdissantes, vêtements élégants : tout est luxe, calme et volupté dans ce monde qui risque de disparaître. Mais que veut nous dire Lars von Trier ?

Au-delà  de la beauté éblouissante de certains plans et de l’éventuel choc des planètes, on ne sait que faire de ces personnages qui s’opposent, paniquent soudain, se séparent sans qu’on comprenne bien pourquoi. Presque tous les personnages de la première partie disparaissent, sans que la seconde partie n’explique pourquoi ils avaient été campés avec tant d’insistance. Le mystère est ici confusion et on sort plutôt déçu de ce film aux images étonnantes.

Magali Van Reeth

Signis

Super 8

de J.J. Abrams

Etats-Unis, 1h50, 2011.

Sortie en France le 3 août 2011.

avec Joel Courtney, Kyle Chandler, Elle Fanning.

L’épouvante, les monstres et la fin de notre monde sont un genre très prisé au cinéma. Mais la pire des catastrophes reste toujours la perte d’un être cher et les cauchemars imaginaires ne sont pas aussi effrayants que la réalité du deuil.

En 1979, dans une petite ville de l’Ohio, un groupe de collégiens essaye de tourner un film, avec une petite caméra super 8, pour participer à  un concours. Ils ont 12 ou 13 ans, rusent avec les interdits des parents, les vacances scolaires et le bricolage maison pour fabriquer leurs décors. C’est la mode des zombies et ils font des efforts désespérés pour les rendre effrayants. Lors d’un tournage de nuit dans une gare désaffectée, ils sont témoins d’un accident de train qui bouleverse la vie tranquille de la bourgade et de ses habitants.

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Film catastrophe par l’ampleur du déraillement et des explosions qui vont suivre, film de science-fiction où on évoque un être venu d’ailleurs, film d’épouvante parce qu’un danger inconnu menace la vie de ce groupe d’enfants, Super 8 utilise tous les codes de ces films pour adolescents. Ce film est séduisant parce qu’à  travers les tas de ferraille qui s’entrechoquent, le feu ravageur, les créatures anormalement fortes et visqueuses, Super 8 parle au spectateur de la véritable « épouvante » de toute enfance, de la « catastrophe » de la mort, du « monstre » qu’il faut apprivoiser : le manque de ceux qui sont partis à  jamais. La fin du monde et l’entrée dans l’inconnu commencent avec la mort de la mère.

Les aventures du jeune Joe, dans ce monde en chaos, ne lésinent pas sur les effets spéciaux et Super 8 peut aussi se voir comme un énième film de genre. Plutôt gentil d’ailleurs, les militaires américains qui « jouent » les méchants évoquant plus les soldats en plastique que les infos du soir à  la télé. Il y a des pointes d’humour pour détendre l’atmosphère et on nous laisse le temps de s’habituer au monstre. La véritable angoisse étant bien celle de la mort et la douleur celle de l’absence.

Si on regarde le film avec un peu de distance, on voit bien que le monstre qui surgit après l’accident est une métaphore du deuil. Le deuil est terrible, c’est un gouffre dont on ne trouve pas la sortie et on a peur de s’y perdre. Il mange ceux qui nous entourent, rien ne le fait vaciller et le combat pour l’amadouer est long et épuisant.

Les films tournés en « Super 8 » avant l’avènement de la vidéo ont donné un grain particulier aux souvenirs d’enfance de toute une génération, celle qui a grandi juste avant internet et les téléphones portables. L’un des charmes du film est aussi ce retour en arrière, à  cette adolescence insouciante, ce temps où les monstres du chagrin n’avaient pas encore envahi nos vies d’adultes.

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Super 8 n’est pas un chef d’œuvre mais il relève nettement le niveau des films proposés aux adolescents pendant les vacances scolaires. A partir de 12 ans, n’hésitez pas à  les accompagner

Magali Van Reeth

Signis

Lourdes

de Jessica Hausner

Autriche/France/Allemagne, 1h39, 2009.

Sélection officielle Mostra de Venise 2009, prix Signis et prix Fipresci.

sortie France 27 juillet 2011.

avec Sylvie Testud, Bruno Todeschini, Elina Là¶wesohn.

Pourquoi lui et pas moi ? Dans l’ambiance particulière du sanctuaire de Lourdes, où la grâce de Dieu reste un mystère, le film questionne en images les réactions ordinaires de ceux qui cherchent des signes.

Christine est une jeune femme handicapée par une sclérose en plaques qui l’immobilise dans un fauteuil roulant. Ayant déjà  participé à  un pèlerinage à  Rome organisé par l’Ordre de Malte, elle rempile pour Lourdes. Elle n’est pas particulièrement croyante mais elle a vite compris que les pèlerinages et les associations religieuses étaient les seuls endroits où on s’occupait vraiment des handicapés. Elle arrive donc dans ce lieu particulièrement cher aux catholiques sans attente particulière, plutôt en touriste qu’en pèlerin.
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Jessica Hausner, jeune réalisatrice autrichienne talentueuse, pose un regard très lucide sur le sanctuaire de Lourdes et ceux qu’on y croise. Le film a été tourné en accord avec les responsables du lieu. Il montre ce qu’on connaît de Lourdes, le recueillement des pèlerins devant la grotte, les longues processions cosmopolites, les messes en plein air, les magasins de souvenirs débordant de plastique, les prières les plus humbles, les handicapés à  la piscine, les milliers de cierges. Tout ce qu’on connaît de Lourdes, on le retrouve magnifié par la caméra de Jessica Haussner qui rend bien l’émotion et le trouble de ce lieu unique.

Mais Lourdes est un vrai film et un film excellent parce qu’il met de la fiction dans cet univers archi-connu. Alternant les véritables scènes de foule et l’intimé d’un drame personnel, la réalisatrice montre la grandeur et la puissance de Dieu face à  la mesquinerie des croyants. Car il y aura bien un signe de Dieu, un être touché par l’inexplicable. Mais face à  cette grâce, tous ne réagissent pas de même façon. Si certains sont dans la joie sincère, d’autres sont dans l’interrogation, voir même la colère : « Pourquoi lui et pas moi ? »

Sylvie Testud interprète avec finesse la fragilité et l’innocence du personnage principal. N’ayant pas d’attente précise, elle reçoit naturellement tout ce que ce séjour lui offre. La distribution très internationale des autres acteurs, participe à  rehausser l’ambiance cosmopolite de ce lieu particulier.

Tourné avec une grande maîtrise technique et un véritable élan artistique, Jessica Hausner n’a pas tourné un film religieux mais s’interroge avec finesse sur nos comportements humains. Ce faisant, elle nous met, nous les croyants, devant nos contradictions et nous rappelle de façon fulgurante tout le mystère et la complexité du miracle. Lourdes est avant tout l’histoire d’une libération que nous ne sommes pas tous à  même d’accepter !

Au Festival du film de Venise 2009, ce film a obtenu le prix Signis et le prix Fipresci (presse internationale).

« Le jury Signis est heureux de décerner son prix à  Jessica Haussner pour son film Lourdes. Non parce qu’il se déroule dans un lieu, par essence, catholique mais parce qu’il soulève des questions qui sont, par essence, celles de tout être humain : la foi, la souffrance physique, l’espérance, les miracles et l’inexplicable. Avec une remarquable maîtrise technique et artistique, la réalisatrice nous amène aux confins de nos attentes humaines, laissant les spectateurs découvrir par eux mêmes la liberté humaine et l’intervention divine. »

Magali Van Reeth

Signis