The Tree of Life

de Terrence Malick

Etats-Unis, 2011, 2h18

Sélection officielle, Festival de Cannes 2011

Palme d’or 2011

Sortie en France le 17 mai 2011.

avec Brad Pitt, Jessica Chastain, Sean Penn.

Des images saturées de beauté, une musique envahissante et une écriture cinématographique brillante, ce film est un hymne à  la vie, déroutant par sa naïveté et sa complexité.

Le plus étonnant dans ce film hors norme est sans doute sa forme cinématographique brillante, maitrisée, étourdissante. Les 2h18 de projection sont une succession de plans très brefs, dont un seul dépasse les 25 secondes (celui des étourneaux au-dessus de la ville). Tourné en numérique, certaines plans sont époustouflants de netteté, que ce soit les planètes, les dinosaures mieux que chez Disney ou le léger duvet blond sur les bras de Jessica Chastain.tree2.jpg

Dans cette cascade continue d’images, Terrence Malick imbrique un documentaire naturaliste et le récit d’une enfance dans le sud des Etats-Unis dans les années 1950. Baigné dans une musique symphonique omniprésente et presque sans dialogue, The Tree of Life déroutera de nombreux spectateurs, surtout ceux qui sont venus pour le Brad Pitt d’Ocean’s Eleven !

Pourtant, si on accepte de tenter l’expérience, le film a de quoi séduire. Notamment dans la partie récit où la mise en scène est simplement brillante. L’enfance du personnage principal, Jack, est évoquée à  travers ses relations avec sa famille. Son amour pour une mère lumineuse, douce et pleine de grâce, une sorte d’ange aux cheveux roux sur laquelle le temps n’a pas de prise ; celle qui montre Dieu, à  sa place dans le ciel, et qui console. Les relations avec son père sont plus ambigà¼es. Homme pétrit de principes éducatifs, il est dur, violent ; il est celui qu’on craint mais dont on désire l’admiration. Envers ses petits frères aussi, Jack hésite entre le rôle de grand méchant dur et celui de protecteur.

Traversé par ces sentiments contradictoires, Jack se sent « diable », comme son père qui a l’Amérique à  construire et des valeurs viriles à  défendre, et cherche désespérément ce Dieu qui apaise, illumine et guide sa mère vers plus de bonté. Cette enfance, Terrence Malick la filme presque sans dialogue, dans des scènes brillamment orchestrées où la justesse des émotions et les nuances du ressenti sont exprimées par le regards des comédiens, la mise en scène et le déplacement de la caméra. Le réalisateur, dans ces moments-là , force l’admiration du cinéphile. Tout comme le jeu des acteurs, que ce soit les enfants, Hunter McCracken et Tye Sheridan, ou Brad Pitt, tout en retenue, souffrant de l’intérieur, dépassé par le poids de ses responsabilités, perdu dans ses convictions.tree4.jpg

Pour exacerber cette histoire familiale, à  l’origine de la culpabilité étouffante de Jack devenu adulte, Terrence Malick l’encadre d’images de notre planète : éclipse du soleil, désert de sable ou de sel, gouttes de pluie sur feuilles végétales, cosmos et fœtus, préhistoire tranquille et urbanisme moderne porteur d’angoisse, les chutes d’eau dévalent l’écran à  toute allure et les crépuscules sont implacables. C’est beau mais un peu lassant. Et on reste dubitatif devant cette imbrication d’un manifeste écologique dénué de fondement politique avec une religiosité où le poids de la faute a pris la place de la foi.

La déception vient aussi lorsque le réalisateur abuse de certains clichés visuels : les rideaux de percale blanche soulevés par une brise estivale, les herbes ondulant sous le vent ou sous l’eau, les contre-jours accompagnant chaque apparition de la mère. La musique finit par être gluante et la fin béatement romantique et d’une spiritualité sirupeuse. Il est difficile d’évoquer le paradis sans tomber dans le déjà -vu, le sentimentalisme, la plage et la débauche de couleur blanche. Terrence Malick assume son côté fleur bleue et la douce espérance d’un homme âgé pour l’humanité qui lui survivra. tree3.jpg

The Tree of Life reste néanmoins un film déroutant et une belle leçon de cinéma.

Magali Van Reeth

Signis

L’Oeil invisible

de Diego Lerman

Argentine/France/Espagne, 2010, 1h35

Quinzaine des réalisateurs, Cannes 2010.

Sortie en France le 11 mai 2011.

avec Julieta Zylberberg, Osmar Nunez, Marta Lubos, Diego Vegezzi, Pablo Sigal.

Les mécanismes de la dictature décryptés à  travers la vie quotidienne d’un lycée. L’Argentine en 1982 mais l’exercice éternel de la surveillance et du pouvoir tyrannique à  travers la violence et l’humiliation.

Pour son troisième long métrage, le jeune réalisateur argentin revient sur l’histoire récente de son pays. L’Œil invisible se déroule en 1982, presque en huis-clos dans un lycée. Etablissement réputé de Buenos Aires où les jeunes des classes les plus favorisées viennent faire leurs études. Dehors, la dictature militaire a imposé son régime, dedans, le règlement intérieur impose aussi surveillance et pouvoir. oeil2.jpg

Diego Lerman s’est inspiré du roman de son compatriote Martin Kohan, Ciencias Morales (Sciences morales) : « le livre m’a captivé. Il y avait ce contexte de la dictature militaire, mais derrière, d’autres thèmes affleuraient, des thèmes qui me paraissaient particulièrement cinématographiques : la répression sexuelle, la quête d’autorité, la décadence d’un régime, tout ça condensé sur le fond de grande Histoire, une fable dans un lieu unique et clos (un lycée) à  partir duquel on peut deviner ce qui se passe à  l’extérieur. Le lycée comme métonymie d’un pays. »

Baigné dans une lumière froide, aux tons bleu et gris, le film fait un parallèle entre les mécanismes de la dictature qui ont contraint une société au silence, à  la suspicion et à  la peur et la façon dont la surveillance est exercée au sein du lycée. Notamment comment le pouvoir s’exerce entre les différentes classes sociales. Maria Teresa est surveillante, heureuse d’avoir un travail qui permet à  toute sa famille de vivre. Pour plaire à  son chef et être sûre de garder ce travail, elle fait du zèle dans la surveillance des élèves. Et, entre fascination et méfiance, se laisse manipuler par celui-ci.

A travers le triste destin de Maria Teresa, le film montre comment les classes moyennes, engluées dans la survie quotidienne, participent presque malgré eux, à  cette dictature. A la fois coupables, car ils n’ont pas les moyens de s’opposer, mais aussi toujours victimes de cet engrenage de violences physiques et psychiques. Ils sont l’œil invisible du régime.oeil3.jpg

Mais dans cette histoire de cinéma, où rien n’existe sans le regard du spectateur, nous partageons avec Maria Teresa le poids de cet œil par qui tout passe, y compris le silence de ceux qui savaient et n’ont rien dit.

Le film se termine sur des images d’archives. Diego Lerman : « Il s’agit d’un célèbre discours de Galtieri, le dernier chef de la junte, alors au pouvoir en 1982, où il annonce devant la foule, dans un geste cynique et suicidaire, que l’Argentine va annexer les Malouines. Quelques jours auparavant, le 30 mars 1982, les syndicats avaient organisé de grandes manifestations, dont on entend les échos à  l’intérieur du lycée, et avaient fait chanceler le pouvoir. Celui-ci ne tarda pas à  répliquer par la répression, et par la fuite en avant dans une guerre supposée populaire. La junte pensait ainsi ressouder une nation déliquescente, sans imaginer une seconde que l’Angleterre de Thatcher allait répliquer avec une telle violence. Le résultat a été inverse à  celui souhaité, puisque cette guerre a précipité la chute du régime. Tout ceci n’était pas dans le roman, mais il était indispensable à  mes yeux de faire ressurgir le social. Toute l’Histoire, tout ce qu’il y a à  l’extérieur du lycée, reste hors-champ lors du film : ces images agissent comme une recontextualisation brutale et contondante. »

Un film oppressant mais nécessaire pour dénoncer les mécanismes de l’oppression, remarquablement interprété par Julieta Zylberberg, et Osmar Nunez.

Magali Van Reeth

Signis

La Cantate des Vivants

Quelques oeuvres d’Henri Dumas proposées mardi 31 mai à  20 h 30 en l’Église Notre Dame, Saint Louis Lyon 7ème en présence du cardinal Philippe Barbarin, avec l’ensemble Vox Laudis, choeur diocésain.
Entrée libre – Participation aux frais

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La Ballade de l’impossible

de Tran Han Hung

Japon, 2010, 2h13

sélection officielle Festival de Venise 2010

Sortie en France le 4 mai 2011.

avec Rinko Kikuchi, Kenichi Matsuyama, Kiko Mizuhara et Kengo Kôra.

Dans des paysages tour à  tour magnifiques et inquiétants, un jeune homme fait le douloureux apprentissage du deuil et de l’amour.

Haruki Murakami est un auteur japonais contemporain très connu, aussi bien dans son pays qu’à  l’étranger. Si La Ballade de l’impossible, paru en 1987, est son roman le plus célèbre, on lui doit aussi Chroniques de l’oiseau à  ressort, Après le tremblement de terre ou Kafka sur le rivage. Son écriture, fluide et élégante, s’ancre dans la réalité japonaise où le thème de la catastrophe est omniprésent. Catastrophe passée, comme celle d’Hiroshima, mais aussi catastrophe à  venir dans un pays vivant toujours dans la crainte du prochain tremblement de terre, comme celui du printemps 2011. Mais si Murakami connaît un tel succès international, c’est aussi parce que ces personnages sont d’abord des êtres ordinaires qui nous ressemblent, éprouvent les mêmes sentiments que nous et, comme nous, cherchent à  donner du sens à  leur vie. ballade3.jpg

Le réalisateur franco-vietnamien Tran Han Hung (L’Odeur de la papaye verte, Cyclo) a été touché par le ton poétique et la mélancolie du roman. La Ballade de l’impossible commence en 1967, lorsque le Japon est secoué par une violente contestation politique, notamment dans les milieux universitaires. Un groupe de jeunes gens, vivant en résidence étudiante, découvre la vie loin du cocon familial. Amitié, séduction, découvertes intellectuelles, amour et recherche d’idéaux se heurtent à  l’inconséquence du désir physique, à  la peur de se dévoiler, à  la vacuité, à  l’incompréhension face à  la mort. Tour à  tour oppressant et lumineux, le film suit l’itinéraire de Watanabe, jeune homme de 19 ans, chahuté par le désir des femmes et les actes radicaux de ses amis.

ballade4.jpgLe réalisateur, qui est connu pour le soin apporté à  la photo de ses films, a trouvé dans l’univers de Murakami un exhausteur de son talent. Avec le directeur photo, Mark Lee Ping-bin, il débusque le sublime dans les paysages du Japon. Prairies d’herbes secouées par le vent, neige brumeuse ou côte rocheuse que la mer vient frapper, la beauté de ces plans magnifiques dit aussi l’imminence du drame. Pour filmer l’inquiétude des personnages, toujours en déséquilibre, en hésitation, il trouve des lumières changeantes, des mouvements de caméra fluides. Tran Han Hung : « Pour un film dont le thème est la formation de la personnalité à  travers l’incertitude de l’amour, la souffrance de perdre l’être aimé, le miracle du retour à  la vie après le deuil par une voie extrêmement audacieuse, la collaboration avec Mark est une évidence pour sa façon de bouger la caméra qui donne à  l’image une sensation d’instabilité et de flottaison exprimant une profonde inquiétude face à  la fragilité de l’existence. »

Tourné au Japon, avec des acteurs japonais dont le réalisateur ne parle pas la langue, le film trouve une justesse particulière, faite de distance, de syncopes et d’émotions vibrantes. La distance étant donnée par les différences culturelles que l’intensité des émotions efface ensuite. La musique aide au rythme de la narration et trouve une place d’autant plus importante qu’elle est indispensable pour le romancier, toujours soucieux de citer des musiques réelles, comme la chanson des Beatles Norvegian Wood qui donne son titre anglais à  l’ouvrage. Pour la bande son, le cinéaste a fait appel, une nouvelle fois, à  Jonny Greenwood. ballade2.jpg

Cette Ballade est sombre, intimiste, parfois lente, parfois déchirante. Elle est portée par le souffle de la poésie lyrique et exacerbée de Murakami que Tran Han Hung met en images, en jeu et en mélodies. Mais, à  l’instar de son personnage principal, résolument optimiste, cette Ballade célèbre la vie librement acceptée, où l’impossible n’est plus une option.

Magali Van Reeth

Signis