Le Christ, grand artiste

Vincent Van Gogh, Semeur au soleil couchant, 1888, huile sur toile, 73 x 92 cm, signé en bas à droite, Collection Emil Bührle, Zurich. - Le crédit photographique est : ISEA, Zurich (J.-P. Kuhn)

Vincent Van Gogh, Semeur au soleil couchant, 1888

Le soleil fait auréole, la sainteté plus forte que l’arbre qui se tord sous le poids du mal, croix de l’humanité.
« Dans la paix obstinée du soir, alors que les derniers cris d’oiseau se taisent peu à peu, le semeur de Van Gogh inlassable, répète son geste. Sa main droite laisse tomber une pluie de graines bleues qui tombe sur un sol labouré par les traits de pinceau.
Dans le contre-jour le visage disparaît, le corps et la tête ne sont plus qu’une masse noire rythmée par les plis des étoffes malmenés par le travail.
Un arbre brun tourmenté, souvent taillé, traverse en diagonale le paysage. »
(Présentation de l’émission par Jean de Loisy. L’émission mérite vraiment d’être écoutée, notamment selon la perspective Arts, culture & foi)

« On ne se trompe pas si l’on parle d’un tableau religieux dans le cadre du semeur. » Lukas Gloor Historien de l’art


Lettre à Emile Bernard, juin 1888 :

« Le Christ seul – entre tous les philosophes, magiciens, etc., – a affirmé comme certitude principale la vie éternelle, l’infini du temps, le néant de la mort, la nécessité et la raison d’être de la sérénité et du dévouement. Il a vécu sereinement, en artiste plus grand que tous les artistes, dédaignant et le marbre et l’argile et la couleur, travaillant en chair vivante. C’est-à-dire que cet artiste inouï et à peine concevable, avec l’instrument obtus de nos cerveaux modernes nerveux et abrutis, ne faisait pas de statues, ni de tableaux ni de livres : il l’affirme hautement, il faisait… des hommes vivants, des immortels. C’est grave ça, surtout parce que c’est la vérité.

Ce grand artiste n’a pas non plus fait de livres ; la littérature chrétienne, certes, dans son ensemble, l’indignerait, et bien rare sont dans celle-là les produits littéraires qui, à côté de l’Évangile de Luc, des épîtres de Paul – si simples dans leur forme dure et guerrière – puissent trouver grâce. Ce grand artiste – le Christ – s’il dédaignait d’écrire des livres sur les idées (sensations), a certes bien moins dédaigné la parole parlée – la Parabole surtout. (Quel semeur, quelle moisson, quel figuier ! etc.). »

A propos des œuvres d’art des pédocriminels

Lorsque les œuvres ne peuvent pas être décrochées aisément (vitraux, mosaïques, fresques, etc.), on pourrait opter pour une forme de détérioration, par exemple un voile noir peint sur l’œuvre. Il faut que l’on voie le mal fait dans l’Eglise. Il est hors de question de le dissimuler, de l’oublier, de tourner la page.

Ou bien, peintre par dessus, tout en laissant dépasser l’œuvre des criminels, la photo mémorielle de la statue de l’enfant qui pleure.

Une église balafrée c’est une manière de ne pas nier le mal des prédateurs et ceux qui les ont couverts. Une façon de ne pas mettre la poussière sous le tapis, comme si de rien n’était. C’est la béance, le gouffre du mal qui doit remplacer les joyeuses (!) couleurs de Rupnik ou Ribes.

On a fait ça dans l’Eglise. L’Eglise a fait ça. Les victimes ont subi cela. Elles sont aussi l’Eglise de sorte que l’on peut aller jusqu’à dire, l’Eglise a vécu, a subi cela.

On représente le crucifié. On représente le mal. Et c’est le corps du Christ qui a été violé parce que ce qu’ils ont fait à ces petits qui sont les siens, c’est à lui qu’ils l’ont fait.

Il était une fois… « Grâce à Dieu »

Arte diffuse en replay jusqu’au 5 août 2023 un documentaire sur le film de François Ozon racontant la lutte de la Parole libérée pour faire reconnaître les crimes de Bernard Preynat et le silence de l’Eglise catholique, tout spécialement de celui dont la gestion calamiteuse de l’affaire a contraint à la démission.

Il suffit de suivre le lien.

Une manière de continuer à ce que, dans l’Eglise, les familles, les différentes institutions où se trouvent des enfants, se développe leur protection, se poursuive l’arrestation des pédocriminels et de ceux qui les protègent.

Malgré tout le travail fait par l’Eglise catholique, la page n’est pas tournée, ne peut être tournée. Des adultes aujourd’hui continuent de souffrir de ce qu’ils ont subi enfant. Sur le modèle de la CIASE le travail de la CIIVISE empêche que l’on tourne la page, tant que des enfants sont encore massacrés.

F.-H. Désérable, L’usure du monde, récit

Comment décrire un pays, le courage qui défie le joug dictatorial, les arrangements voire les complicités ? Comment ne pas distribuer les points, bons ou mauvais. L’histoire n’est pas faite de méchants et de gentils, catégories enfantines !

François-Henri Désérable offre un portrait caléidoscopique de l’Iran aujourd’hui qu’il visite juste après l’assassinat par le régime de Masha Amini (septembre 2022), les viols, les tortures et les condamnations à mort de tant de jeunes hommes et femmes.

L’usure d’un monde, publié en mai chez Gallimard, échappe aux simplifications, instaure un recul en s’inscrivant dans le sillage d’une autre traversée pays, en 1953, et de son récit L’usage du monde. Le livre partage des rencontres d’une poésie subtile et d’une force incroyable : une danse improvisée ‑ et interdite ; l’écho d’un cri dans les rues de Téhéran : « Femme, vie liberté » hurlé par une femme, encore ; l’urgence de la poésie pour survivre, y compris à l’agonie dans les geôles.
« Il n’existe pas de chemin sans terme
Ne sois pas triste. » (Haffez)

Et la liberté religieuse ? La foi, même la meilleure, devient haïssable à être imposée, violence. La tyrannie fait naître l’athéisme en Islam comme en Occident il y a trois-cents ans. Etre condamné, à mort, pour « inimitié à l’égard Dieu » ? Des mots insensés mais implacables et mortels.

– « Attends, je vais te montrer combien l’écho est merveilleux à Téhéran.
Elle a pris une grande inspiration, a mis ses mains en cornet, et aussi fort qu’elle le pouvait, elle a crié : Marg bar diktator ! – « Mort au dictateur ! » Pendant un seconde, pas plus – mais c’était l’une de ces secondes qui s’étirent, une seconde élastique – je suis resté interdit, stupéfait par son audace, et plutôt que de joindre ma voix à la sienne, de passer un bras fraternel autour d’elle, de mettre un poing en l’air et de crier à mon tour, instinctivement, presque sans réfléchir, j’ai fait un pas de côté. Je me suis tu, et j’ai fait comme si je n’étais pas avec elle. La rue était presque vide, il n’y avait que deux hommes un peu plus loin devant la porte d’un immeuble, pourtant j’ai pris peur. J’ai eu peur que ces deux hommes ne soient des agents du régime, ou que des agents du régime n’arrivent en trombe sur leur moto, peur de me faire tabasser, et de me faire arrêter, et de finir en prison, et d’y rester pour longtemps. Cela n’a duré qu’un instant, je ne suis pas même sûr que Niloofar s’en soit aperçue, mais moi, cette petite lâcheté, cette démission du courage m’a fait honte, oui j’ai éprouvé de la honte à m’être écarté de cette fille à côté de qui un instant plus tôt je marchai, avec qui je parlais, et que de la manière la plus éclatante, venait de me démontrer ce que c’était vraiment, en avoir.
Au troisième étage d’un immeuble, quelqu’un a ouvert sa fenêtre et a crié : « Mort au dictateur ! » Puis les deux hommes un peu plus loin dans la rue ont crié : « Mort au dictateur ! » Puis une voiture qui passait a klaxonné, et son chauffeur a baissé la vitre pour crier : « Mort au dictateur ! » Puis on a entendu des « Mort au dictateur ! » qui venaient d’une rue parallèle : c’était l’écho amplifié, prolongé, du cri de Niloofar qui se propageait dans les rues de la ville. C’était le merveilleux écho de Téhéran. C’était la nuit, traversée d’un éclair. » (pp. 41-42)

5ème édition du festival « Superspectives »

Transformer le temps d’une vingtaine de jours la maison de Lorette en lieu de rencontre, de convivialité, d’agrément, de musique et de concerts.

La maison de Lorette (42 montée saint Barthélémy, Lyon 5) appartient aux Œuvres Pontificales missionnaires, un organisme du Saint-Siège pour soutenir la vie de l’Evangile et la mission dans le monde. Accrochée à la colline de Fourvière, elle offre un cadre extraordinaire, tant par la vue sur la ville que par ses terrasses, endroits de rêve, surtout en été, surtout si l’on peut y boire un verre avec des amis, surtout si l’on peut y écouter et découvrir une programmation musicale de qualité.

Terrasse nord, l’accès est gratuit. Il y a un bar avec restauration légère de 16h à minuit. Sur le coup de 17h ou 18h30 selon les jours, une animation musicale.

Terrasse sud, à 20h30, de la musique contemporaine, un festival de « musiques ouvertes ». Juste à côté, ce sont les Nuits de Fourvière ; là, c’est davantage l’ambiance d’un club de jazz, où l’on entend aussi bien Erik Satie qu’Olivier Messiaen, des partitions de ces vingt dernières années, de la « musique du monde » (basque ou éthiopienne par exemple). La programmation ne craint pas la musique sacrée, du grégorien à l’électro-acoustique.

L’ouverture, vendredi 16 a donné le ton. La terrasse nord accueille, on s’installe, profite du cadre, se pose pour un moment, et se prend à rêver sur une programmation de musique africaine, latine et des Antilles. A 20h30, terrasse nord, Emmanuelle Parrenin et Arandel font découvrir des demeures inouïes. La base et folk, mais les arrangements nous tirent dans des harmonies d’aujourd’hui. Le subtil mélange et glissement d’une esthétique à l’autre brouille la chronologie et fait seulement habiter paisiblement le lieu, et peut-être ainsi un peu le monde. « La nuit est plus étoilée qu’on le croit, le ciel plus lumineux » chante E. Parrenin.

Il y a beaucoup d’autres affiches à découvrir. On attend avec impatience les Vingt regards sur l’enfant Jésus le samedi 24 et la réinterprétation de la musique d’Hildegarde von Bingen le 29, ou la soirée Jazz du 21 « une fête avec François Tusques ».

Alexandre Tharaud / Benjamin Millepied

Trois soirs de suite, lors des Nuits de Fourvière, le pianiste et le danseur font partager leur rencontre, peut-être leur amitié, en tout cas, leur passion pour la musique et la danse. Ils ont des choses à se dire, des musiques à partager et à écouter ensemble, à danser ensemble.

Le cadre du théâtre antique, la nuit sur la ville voient leur magie propre pâlir à côté de celle qu’offrent les deux artistes. Le chorégraphe se remet à la danse et les deux solistes, comme sur un tapis volant, nous transportent au monde de la complicité, de la douceur, des facéties, de la violence parfois.

On multiplie les techniques et dispositifs, peut-être un peu trop. Parce que la dernière sonate de Beethoven ne s’écoute que les yeux fermés, et qu’il faut bien les garder ouverts si l’on voir ce qu’en souligne le danseur, ce qu’il aide à en entendre.

On ressort en se demandant où l’on a été pendant cette grosse heure passée en leur présence. Si, si, c’était bien la vraie vie, ce n’était pas un rêve. La vie peut donc être si belle ! Merci

Relever les bas-fonds

Peindre les marges, faire le portrait de ceux qui ne comptent pas. C’est Caravage au tournant du 17ème siècle et le scandale que l’on sait.

Robert Guinan (1934-2016) immortalise les habitants des quartiers pauvres du Chicago des années 60-80. Il croque sur le vif ceux qu’ils croisent à la façon de Toulouse-Lautrec et montre leur solitude harassée comme Hopper. Les portraits posés arrivent plus tard, mais toujours le secret des personnes.

Un métro au petit matin ou très tard le soir, horaires décalés comme les vies « en marge du rêve américain », exilés des centres de richesse, réfugiés où l’on peut. Un bar, l’alcool ou la prostitution. Visages estompés comme pour en protéger la dignité et l’intimité à moins que déjà la mort ne projette son ombre, Memento mori. La musique des fêtes ou le blues des jazz-clubs comme autrefois le gospel des esclaves.

La fiction picturale crie les souffrances et transfigure la lassitude d’être. On entend l’invitation de François d’aller aux périphéries. Caravage engage à vivre la foi par la non idéalisation de ses modèles ; la fraternité de Guinan, complice et sans complaisance, avec les siens est communicative. Ordinaire et profane, blessée aussi, la vie plus grande.