de Claude Chabrol
France, 1h50, 2009.
Séance spéciale Berlinale 2009.
Sortie en France le 28 février 2009.
avec Gérard Depardieu, Marie Bunel, Jacques Gamblin, Clovis Cornillac.
Pour fêter leur rencontre après des années d’occasions manquées, Claude Chabrol, le cinéaste, et Gérard Depardieu, l’acteur, sont au mieux de leur forme pour un très beau film dont l’apparente légèreté emballe avec élégance une réflexion sur la vie ordinaire de ceux qui ne sont pas des héros.
Un film de Chabrol est toujours un événement dans la vie d’un cinéphile. Un bon cru ? Un bâclé ? Un scandale ? Un chef d’œuvre ? Depuis 50 ans, Claude Chabrol fait des films en portant un regard très lucide sur ses contemporains, tout en maniant les ficelles de la fiction avec un grand talent. Ces dernières années, Chabrol mettait plutôt en avant des actrices, Isabelle Huppert, Nathalie Baye, Sandrine Bonnaire, et le ton était plutôt grinçant, comme dans La fille coupée en deux (2006) où le Bien et la compassion semblaient avoir complètement disparus chez les humains. Avec Bellamy, le ton est beaucoup plus doux, comme apaisé, voire par moment très primesautier. Et c’est le grand retour des hommes avec, quel homme parmi les hommes, Gérard Depardieu. Lui aussi comme apaisé, ayant retrouvé ses talents d’acteurs, tout en force intérieure et puissance de la gestuelle du corps. Deux mythes du cinéma français réunis, Chabrol et Depardieu, et on réalise soudain leurs ressemblances, leur complémentarité.
Tout le film alors est un délicieux plaisir. Plaisir de se laisser embarquer dans une improbable histoire policière qui est prétexte à une réflexion sur la vie en général. L’inspecteur Bellamy est en vacances et, entre deux grilles de sudoku, voit la vie autrement. L’apaisement d’un couple qui a su vieillir ensemble, sa femme, toujours désirable (mais forcément, Marie Bunel, lumineuse, douce et ferme à la fois), les relations très ambiguës avec son petit frère, le goût du vin et surtout cette constatation presque gênante qui lui fait dire : « j’ai de la chance ». Plaisir de retrouver, après de très longues années de misère, un Depardieu qui peut, malgré les kilos en trop, être à nouveau un bel homme, comme lorsque à ses vingt ans, il réveillait le cinéma français avec son jeu et son physique provocant, la force puissante qu’on avait envie d’apprivoiser.
Plaisir de retrouver ce qu’on aime chez Chabrol, le dessus de lit de la chambre conjugale assorti aux rideaux et l’attention donnée aux petits détails du quotidien qui oblige le spectateur à se retourner sur sa propre vie. Comme le drame d’une fratrie illustrée par les bols du petit-déjeuner. Comme les noms improbables portés par les personnages du film : mademoiselle Sanchos est une brune craquante, Noël Gentil un affreux bonhomme et l’inspecteur Leblanc n’a de blanc que son chien Et les questions qu’il nous pose, comme en passant : est-ce que la chance existe vraiment ? Faut-il se méfier des gens qu’on aime ? Quel est le prix à payer pour être heureux ? Plaisir de voir Depardieu incarner un Chabrol intime, fantasque, fantaisiste, qui a arrêté – pour un temps ? – de grincer des dents. Un Depardieu assagi, posant son grand corps avec tendresse que l’épaule d’une femme sereine. Un Chabrol qui a pris le temps de soigner son film et le montage et de nous mettre quelques belles scènes. C’est fluide, léger mais des ombres passent au loin, comme lorsque un nuage du ciel nous fait mieux apprécier le beau temps. On regarde le film avec une certaine jubilation. Bref, que du plaisir ! Finalement, c’est bien de vieillir un peu si c’est en compagnie de Chabrol et de Depardieu. Finalement, c’est bien un grand Chabrol.
Magali Van Reeth