CINEMA : Mammuth

de Gustave Kervern et Benoît Delépine

France, 1h32, 2009.

Sélection officielle Berlinale 2010.
Sortie en France le 21 avril 2010.

avec Gérard Depardieu, Yolande Moreau, Anna Mouglalis.

Un voyage aux confins de l’absurde et du quotidien, en compagnie de personnages étonnants et touchants, où le rire et l’émotion se conjuguent : un grand film qui célèbre les petites gens.

Ils font les pitres à  la télévision française, ont inventé une nouvelle forme d’humour, le style Groland, mais Gustave Kervern et Benoît Delépine sont, depuis leur premier film, du côté des travailleurs pauvres, des handicapés, des faibles, de ceux que la société rejette parce qu’ils ne sont ni beaux, ni rentables. Ils sont aussi de vrais réalisateurs de cinéma, comme le prouve ce Mammuth.

Embarqué dans un voyage rocambolesque sur la moto de Serge Pilardosse, en route pour une improbable quête aux bulletins de salaire non payé, le spectateur traverse des univers rarement évoqués au cinéma. Côtoyant des artistes délirants, des oubliés du profit, une prostituée pleine de ressources et un amour de jeunesse. Mélangeant le beau, le drôle, l’émotion, la mélancolie et le désespoir, sans oublier la dénonciation politique, Mammuth est une comédie peuplée de personnages touchants.mammuth2.jpg

L’une des scènes les plus poignantes du film est celle où Serge Pilardosse via Gérard Depardieu, fait halte au bord d’une rivière. Plus las et fatigué que jamais, il effeuille son grand corps, débordant de graisse et de silence, et glisse dans l’eau. Il se baigne, se lave, essore ses cheveux. Aucune provocation, aucune impudeur dans cette masse de chair immergée dans la clarté et la limpidité aquatique. Un instant, on se croit dans l’univers des tableaux d’Ingres. C’est aussi beau et étrange que La Baigneuse de Valpinçon, aussi démesuré que La Grande Odalisque, aussi puissant que Jupiter et Thétis.

Si le film doit beaucoup à  Gérard Depardieu, et n’aurait sans doute pas pu se faire sans lui, les réalisateurs ont néanmoins un talent fou et une imagination délirante lorsqu’il s’agit d’utiliser le potentiel des acteurs, même les plus connus. Mettre Depardieu sur une grosse moto, les cheveux au vent et lui demander de n’être rien d’autre que sa masse corporelle, de ne rien dire pour mieux exprimer sa lassitude et son désir de tendresse, c’est tout simplement génial ! De même, Gustave Kervern et Benoît Delépine ont su exploiter le grain de folie et la beauté sans âge d’Isabelle Adjani pour lui faire jouer un très séduisant fantôme plein de cicatrices.

Cette escapade sur les routes de la campagne de France et dans la carrière d’un ouvrier, est un hommage mélancolique à  un mode de vie qui n’est plus. Mélancolie d’un monde moins terrifiant, où les travailleurs avaient une conscience de classe et l’amour du travail bien fait, où le profit n’était pas le seul moteur de la société. Mammuth est une dénonciation drôle et efficace de cet ultime combat que le travailleur précaire doit mener pour faire valoir ses droits à  la retraite.

mammuth3.jpgFilmé avec une esthétique très poétique, le film redonne de la beauté aux corps fatigués, de l’amour et une raison de vivre aux retraités. Avant d’être une moto et le surnom de celui qui la chevauche, le mammouth, comme le dinosaure, est un animal mythique qui appartient au passé mais hante toujours les consciences modernes. Parce qu’il témoigne des débuts de l’humanité.

Magali Van Reeth

Signis

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