CINE : Copie conforme

d’Abbas Kiarostami

France/Italie/Iran, 1h46, 2009.

Festival de Cannes 2010, sélection officielle

Sortie en France le 19 mai 2010.

avec Juliette Binoche et William Shimel.

Un homme, une femme, le charme de la Toscane et des œuvres d’art, Abbas Kiarostami tisse ces thèmes pour faire du grand cinéma.

Comme beaucoup de grands films, Copie conforme peut se lire à  plusieurs niveaux. C’est une réflexion sur l’art, comme la splendide scène d’ouverture peut l’indiquer et que la première discussion entre les deux protagonistes le confirme. L’art, non pas d’un point vue esthétique mais sur le sens même de ce que l’art peut être.

C’est aussi une histoire de sentiments entre un homme et une femme. Est-ce une histoire d’amour ? Ou juste la rencontre de deux êtres blessés ? Si c’est une histoire d’amour, elle est savoureuse parce qu’elle commence par la fin, une scène de ménage. Ici, deux êtres qui ne se connaissent pas expriment à  un parfait inconnu ce qu’ils n’ont pas osé dire à  un conjoint. Et peu à  peu, se laissent émouvoir, s’attirent, se séduisent.copie3.jpg

Parce qu’Abbas Kiarostami, palme d’or à  Cannes en 1997 pour Le Goût de la cerise, est un grand réalisateur, il même subtilement ces deux niveaux de lecture tout au long du film. La réflexion sur l’art et l’histoire d’amour se télescopent. Copie conforme est un film sur le regard. L’attention que nous accordons à  une oeuvre d’art varie selon notre connaissance de l’objet. Est-il authentique ? Il sera presque sacralisé. Est-ce une réplique, un faux ? On l’enlèvera des cimaises du musée. Pourtant, la forme est la même et l’oeuvre reste d’abord une représentation d’un réel que nous ne pouvons figer.

En amour, nous aimons souvent l’autre pour ce qu’il n’est pas, pour l’idée que nous nous faisons de lui. Un portrait réussi de la personne aimée est celui qui la fige dans le temps et nous permet de la saisir complètement. Dans la réalité, les êtres changent et nous déçoivent constamment, dès lors qu’ils s’éloignent de la représentation qu’on s’en fait. Toute la discussion des deux personnages du film, dès lors qu’ils abandonnent le concept artistique, tourne autour de ce douloureux malentendu de la représentation de l’autre.

copie2.jpgPassant sans arrêt d’une langue à  l’autre – italien, français et anglais – les acteurs montrent la difficulté de l’expression des sentiments, c’est-à -dire du décalage entre le ressenti, les émotions et les mots qui les expriment si imparfaitement. Des allers retours incessants qui se font écho, se brouillent et se complètent. Comme le réalisateur, jouant sur le reflet des vitres, des rétroviseurs et des fenêtres, nous fait à  la fois sentir et espérer une chose et son contraire. Se sont-ils déjà  vus ? Vont-ils s’aimer ? Tout est mystère, confusion, fulgurance.

Les deux acteurs sont formidables. Juliette Binoche, à  la fois fleur bleue, ordinaire et sublime. On est toujours bluffé par sa capacité à  exprimer, sur son visage et dans tout son corps, autant de registres si différents. A ses côtés, William Shimel qui n’est pas un acteur professionnel mais un baryton. Sa maladresse est ici finement exploitée par le réalisateur pour accentuer le déséquilibre de ce couple hypothétique. Shimel est toujours mal à  l’aise, en porte à  faux par rapport à  cette femme si féminine, si exigeante. Son côté bel homme torturé, sur l’épaule de qui on a envie de poser doucement sa tête, n’en est que plus séduisant.

Dans Copie conforme, comme dans toute œuvre d’art accomplie, rien n’est fortuit, tout est à  sa place. Les commentaires des guides lorsque, avec les deux personnages, nous entrons dans une salle de musée, la présence de la moto sur la place du village, le pas lent et douloureux des vieillards, la vitre qui empêche les jeunes mariés d’entendre les souhaits qu’on leur adresse, jusqu’aux cris stridents des martinets lorsque le jour s’achève.

Cet ancrage subtil du film dans la réalité n’empêche nullement le réalisateur de rappeler à  chaque instant que nous sommes dans la fiction, dans l’illusion, dans un jeu. Jeux des acteurs qui imitent – ou vivent – des émotions que les spectateurs peuvent partager, jeux des personnages du film qui endossent des rôles dans lesquels ils règlent leurs comptes avec la réalité qui n’est plus alors celle de leurs personnages mais toujours la nôtre ! Magie de l’illusion artistique qui nous touche au plus profond de notre sensibilité.copie4.jpg

Enfin, Abbas Kiarostami nous offre quelques scènes magnifiques, comme celle où Juliette Binoche se fait belle dans la salle de bain. Face à  la caméra qui fait office de miroir, elle se met du rouge à  lèvres, ça bave un peu. Derrière elle, un store en jalousie aux tons verts, à  travers lequel monte le bruit de la rue. Cette mise en scène, où la fiction et le réel s’interpellent avec simplicité, est si émouvante qu’on comprend alors pleinement la pertinence de la démarche artistique.

Magali Van Reeth

Signis

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