CINE : Les Mains libres

de Brigitte Sy

France, 1h40, 2010.

Sortie en France le 16 juin 2010.

avec Ronit Elkabetz et Carlos Brandt.

Une histoire d’amour qui survient dans des circonstances exceptionnelles – il est en prison, elle est dehors – mais une fulgurante illustration de la difficulté à  entremêler réalité et fiction dans une œuvre d’art.

Les mains libres du titre de ce film étonnant sont les mains de ceux qui ne sont pas libres de les utiliser comme ils veulent. Une histoire d’amour où l’homme est en prison et où la femme peut venir de temps en temps pour un projet artistique avec les détenus. Au fil des semaines, ils tissent le désir et la passion interdits.

Dès les premières images du film, on est happé par l’élégance des plans, tout en subtilité et simplicité pour dire la complexité de la souffrance des êtres en prison. Par la beauté de la lumière, qui creuse l’effet dramatique dans des situations banalement ordinaires. On se laisse aller avec un grand plaisir dans cette histoire de mise en abîme de la fiction. Fiction du film qui raconte une histoire vraie, avec toute la distance nécessaire. Et cette délicate notion de fiction que les détenus doivent apprivoiser pour pouvoir dire leur vécu face à  la caméra.
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Les acteurs sont formidables. Ronit Elkabetz, parfaite dans ce rôle où la fragilité et la sensibilité sont exacerbées ; Carlos Brandt respirant la séduction de l’intérieur, dans chacun de ses gestes, tout en retenu : n’importe quelle femme pourrait craquer ! Autour d’eux les autres acteurs qui interprètent les détenus jouent parfaitement à  la fois la sincérité de leur rôle et l’apprentissage périlleux de la fiction. On est ébloui par ces images, cette atmosphère, ce rendu qui colle parfaitement au sujet, une histoire d’amour dans un lieu qui en est si dépourvu, l’apprentissage de la fiction chez ceux qui sont incapables de prendre du recul sur leur propre vie.

Hélas, la fin du film gâche tout ce subtil échafaudage. Dès qu’apparait le carton « Un an plus tard », le film retombe dans « l’histoire vraie » et, quittant la fiction, retombe dans le caniveau des faits divers et de la télé-réalité. « J’ai épousé un homme en prison » pourrait alors être le titre du film, comme celui d’un article dans un magazine populaire qui flatte le penchant morbide pour le sensationnel chez ses lecteurs. On assiste à  un mariage en prison, rien de plus et alors même les acteurs, jusque là  excellents, semblent mal à  l’aise dans leur rôle. Ronit Elkabetz ne parvient plus à  nous émouvoir et Carlos Brandt ne dit pas un mot, comme pour accentuer que, si le film ne concerne plus les spectateurs, il n’y a plus non plus « d’acteurs ».

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C’est ce qui guette tous les réalisateurs, tous les artistes créateurs, dès lors qu’ils n’arrivent plus à  mettre en fiction leur propre expérience. Et par ce final raté, Les Mains libres est un bel exemple du rôle de la fiction dans l’art : comment prendre du recul par rapport à  notre expérience intime, comment changer notre regard sur notre propre vie pour pouvoir la communiquer à  d’autres, pour accéder à  la transcendance ? Souvent, cela passe par la difficile expérience du renoncement. Il faut quitter le réel et le catalogue raisonné de la « vraie vie » pour mieux dire le vécu.

Magali Van Reeth

Signis

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