Vénus noire

d’Abdellatif Kechiche

France, 2h40, 2010.

Festival de Venise 2010, sélection officielle.

Sortie en France le 27 octobre 2010.

avec Yahima Torres, André Jacobs, Olivier Gourmet.

A travers le destin tragique d’une jeune femme noire exhibée dans les foires, une réflexion pertinente sur l’utilisation du corps individuel (chair et âme) par une société avide de divertissements ou de savoirs.

Après L’Esquive (2004) et La Graine et le mulet (2007), le réalisateur français Abdellatif Kechiche s’impose, avec ce nouveau film, comme un grand cinéaste capable, à  travers la forme du récit, de questionner nos comportements et les dérives de la société dont nous sommes issus et que nous constituons aujourd’hui.

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Dans le grand élan naturaliste du début du 19ème siècle, la France découvre avec un ravissement mêlé de crainte les curiosités venues d’Afrique ou d’Orient. La négresse à  plateaux, l’émeu et l’orchidée déplacent des foules. Parmi ces étrangetés exotiques, la Vénus hottentote traine encore dans notre imaginaire. Mais attention, comme le montre si bien l’affiche du film, la Vénus noire, c’est celle que tous regardent, tous, y compris nous spectateurs du film et du spectacle quotidien de notre société hyper médiatisée

Apportée en Europe par le patron pour qui elle travaillait en Afrique du sud, Satchwe est une jeune femme noire qui présente les caractéristiques de sa tribu Khoisan : des fesses et des hanches extrêmement développées et un très grand tablier génital. Exposée comme bête de foire à  Londres en 1810 (entre l’ours sauvage et la femme à  barbe), elle arrive un peu plus tard à  Paris où les scientifiques du Museum d’histoire naturelle l’étudient minutieusement pour prouver la supériorité de la race blanche.
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Ici, l’Histoire, et l’histoire vraie, ne sont que le point de départ d’une œuvre de cinéma. Abdellatif Kechiche n’essaye nullement de retracer la vie de Satchwe Baartman, ni de comprendre l’évolution de la science. Il s’attache plutôt à  montrer le rôle néfaste de notre goût pour le bizarre, l’étrange, le divertissement, le savoir sans conscience. Pas besoin d’esclavage ou de racisme pour qu’une personne humaine à  perdre sa dignité pour satisfaire les désirs des autres qu’elle prend pour siens. Aujourd’hui, ceux qui vont s’apitoyer sur le sort de la Vénus hottentote, de quoi sont-ils capables pour une minute de gloire dans les médias ? Avec quel ravissement suivons-nous les émissions de télé réalité ou la lecture des dernières péripéties pathétiques d’une chanteuse ? Pour la performance sportive, combien d’hommes ont perdu la santé ou la vie ?

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Victor Hugo y faisait déjà  allusion en 1862 : « Paris est bon enfant. Il accepte royalement tout ; il n’est pas difficile en fait de Vénus ; sa callipyge est hottentote ; pourvu qu’il rie, il amnistie ; la laideur l’égaye, la difformité le désopile, le vice le distrait. » Le film d’Abdellatif Kechiche ne montre rien d’autre que cela. Avec l’aide de Yahima Torres, magnifique actrice cubaine qui expose son corps nu à  la cupidité de nos regards de spectateurs, comme Satchwe le faisait deux siècles plus tôt dans les salons parisiens. Elle porte le film avec dignité, poussant son grand corps noir aux limites du jeu, où on peut lire, dans sa chair, toute l’humiliation, la honte et la lassitude d’une femme prise aux pièges des hommes qui l’exploitent.

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Une fois le film terminé, ne quittez pas tout de suite la salle. Le générique de fin donne l’épilogue de ce destin si triste. En 1994, l’Afrique du sud réclame officiellement sa dépouille à  la France, dépouille qui est rendue en 2002 et donne lieu à  un enterrement « à  grand spectacle ». Près de 200 ans après sa mort, une fois encore, le corps de Satchwe Baartman a été utilisé par d’autres, contre sa volonté. La « société du spectacle » a encore de beaux jours devant elle !

Magali Van Reeth

Signis

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