La Terre outragée

de Michale Boganim

Ukraine/Pologne/France, 2011, 1h48

Prix du public au Festival Premiers plans d’Angers

Sortie en France le 28 mars 2012.

avec Olga Kurylenko, Andrzej Chyra, Ilya Iosifov.

A mi-chemin entre la fiction et le documentaire, sautillant entre le bonheur passé et l’espérance brisée de l’avenir, une évocation poignante du drame de Tchernobyl.

Jusqu’en avril 1986, les habitants de la petite ville de Pripiat en Ukraine vivaient heureux et insouciants à  l’ombre d’une centrale nucléaire. C’était la grande époque de l’Union soviétique où, sur d’immenses panneaux publicitaires, s’étalait cette phrase de Lénine : « le communisme, c’est le pouvoir soviétique, plus l’électrification de tout le pays ». Paysans, ouvriers et soldats, repus de propagande, vivaient heureux et insouciants sur la terre de leurs ancêtres.terreoutragee1__Les_Films_du_Poisson_Photo_Baruch_Rafic__DSC_1014__mariage.jpg

Le drame de l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl est évoqué à  travers le personnage d’Anya. Plus qu’un film militant sur les dangers du nucléaire, La Terre outragée utilise les ressorts de la fiction pour dire la souffrance de ceux qui ont vécu cette catastrophe de l’intérieur. Incompréhension face à  l’ampleur du danger, incrédulité, perte d’un être aimé, de son logement, de ses repères et de sa santé, c’est à  travers la douleur intime que l’histoire est racontée.

Jeune femme de Pripiat, la ville la plus proche de la centrale, Anya prépare son mariage. Autour d’elle, les habitants semblent vivre un printemps simple et sans histoire particulière. On va à  la pêche, on lave son linge dans la rivière, on nettoie les ruches, on sort les vaches dans le pré. Vision quasi idyllique d’une époque révolue, si ce n’était cette masse de béton et de fer qui fait un peu tâche dans le paysage et induit, dès les premières images du film, une inquiétude sourde. Et le 26 avril, Anya se marie avec le jeune homme qu’elle aime. Elle porte une belle robe blanche, on fait la fête sous une bâche. Le jeune marié est appelé en urgence pour éteindre un incendie et Anya ne le reverra jamais. Après quelques jours d’incompréhension et de panique, tous les habitants sont évacués et la zone est fermée.terreoutragee2__Les_Films_du_Poisson_Photo_Maxim_Donduyk__041_DON_6534__valery_a_Prypiat.jpg

Au-delà  des risques sanitaires, ce qui frappe dans le film, c’est l’attachement au lieu qui pousse certains à  rester, d’autres à  y revenir, malgré les risques. Dès qu’une partie de la zone interdite est rouverte en 1996, Anya revient pour y être guide mais on sent surtout chez elle une impossibilité à  quitter définitivement ce lieu, comme s’il était une part d’elle-même qu’elle oublierait alors. Une attirance morbide pour le bonheur d’une vie passée qui rend impossible tout futur. L’ancien garde-forestier lui a carrément refusé de partir et consomme avec gourmandise sa nouvelle récolte de pommes. Enfin, à  cause d’un contexte économique dramatique, des familles entières de clandestins entrent illégalement dans la zone interdite (et contaminée) pour investir des fermes abandonnées et s’y installer. La radioactivité, qu’on ne voit pas, qu’on ne sent pas, niée par les gouvernements de l’époque, est aujourd’hui ignorée par des individus qui n’ont pas d’avenir ailleurs.

Le film est tourné au plus près de la zone interdite, dans cette ville de Pripiat, amas de ruines en béton où la végétation sauvage envahit l’espace que les habitants ont dû fuir. Un lieu propice aux fantômes, à  la désolation, qui évoque le gâchis et la démolition. Démolition des murs qui se fissurent faute d’entretien mais surtout démolitions des êtres irradiés et des survivants qui ne sont plus que les ombres de leur jeunesse saccagée. A l’image d’Anya, dont le corps s’étiole peu à  peu mais qui revient toujours vers ces lieux maudits, incapable de partir.terreoutragee3__Les_Films_du_Poisson_Photo_Maxim_Donduyk__27_DON_4062__roue.jpg

Michale Boganim est une jeune réalisatrice israélienne, née en Ukraine et ayant longtemps vécu en France. Cette notion d’attachement à  un lieu, et donc la conscience d’une perte irrémédiable, lui est familière. La Terre outragée est un film doublement nécessaire. Il évoque la catastrophe de Tchernobyl et les dangers de l’industrie nucléaire mais aussi ceux de la nostalgie : « On a été heureux là -bas », faut-il pour autant se tuer à  y revenir ?

Magali Van Reeth

Signis

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