Les trois soeurs du Yunnan

de Wang Bing

Hong-Kong/France, 2012, 2h28

Prix du jury œcuménique au Festival de Fribourg 2013.

Sortie en France le 16 avril 2014.

documentaire

En Chine, dans un petit village des montagnes du Yunnan, les magnifiques images du réalisateur donnent de la grandeur et du sens au quotidien misérable de trois petites filles.

En 2009, alors qu’il se rendait dans un petit village des montagnes du Yunnan, Wang Bing a rencontré ces trois sœurs, Yingying (10 ans), Zhenzhen (6 ans) et Fenfen (4 ans) qui vivaient dans la maison familiale désertée par leurs parents. Un hameau posé sur des montagnes pelées, à  3200m d’altitude, où les paysans cultivent des pommes de terre. Des cochons qu’on amène paître comme les chèvres et les moutons, des ânes, des chevaux, un vent qui souffle en permanence. La vie est rude pour tout le monde dans ces paysages spectaculaires du sud de la Chine.267523_51caeaa55be68ffc43eabd0bdb9ca38d.jpg

Ces trois petites filles vivent au quotidien le double abandon de leurs parents et de la société. Bien sûr, il y a un grand-père pas loin, une tante et des cousins mais la misère est telle qu’on ne peut pas toujours partager. Wang Bing fait de Yingying le fil conducteur de ce récit très pudique, ne cherchant jamais à  apitoyer le spectateur mais montrant la réalité. Dans la première partie, où la caméra reste souvent à  l’intérieur avec les trois filles, on voit bien la tendresse qui les unit. La boue dans la cour de la maison où coule le robinet d’eau froide, les mains sales, la fumée dans la pièce principale, la paille humide des lits, les poux dont il faut se débarrasser manuellement. Puis le père revient un moment, et repart chercher fortune en ville avec les deux plus jeunes. Dans la seconde partie, Yingying est donc seule et cette fois la caméra la suit à  l’extérieur. Elle est bergère avec les moutons, elle nourrit les cochons, elle ramasse des pommes de pins, elle va à  l’école. Puis le père revient mais avec une nouvelle femme et sa fille. Une autre vie, d’autres saisons à  accepter sans colère.

Au fil du documentaire, beaucoup de questions naissent et restent sans réponse : où est la mère, quelles sont les relations avec la tante, avec les autres habitants, qui paye l’électricité puisqu’on voit la lumière allumée, est-ce que la toux de Yingying s’arrêtera un jour, quels sont ses liens avec les autres enfants du village ? Wang Bing ne veut pas entrer dans un récit classique ou des explications. La puissance fictionnelle de la réalité suffit, « elles sont des herbes qui poussent toutes seules ». Dans cette froide misère, sa caméra donne de la grandeur et de la chaleur aux scènes quotidiennes. Les trois filles dans la pénombre autour du feu, Yingying face à  la splendeur du paysage, foulant les pommes de terre pour la pâtée des cochons ou le père lavant les pieds de ses filles sont autant de tableaux dignes des peintres flamands, des instants de grâce où ce qui bouleverse le spectateur n’est pas la misère mais le palpitement de la vie, la douceur du moment.267523_60aa50ac15bbe75db38ff08ce75ba979.jpg

Pour le réalisateur, filmer ces personnages que le cinéma commercial dédaigne, ce n’est pas un acte politique mais la manifestation de l’attention qu’il porte à  des vies singulières. Pour Wang Bing, conscient de la pauvreté des campagnes du sud-est de la Chine, ces trois sœurs ne représentent qu’elles mêmes. Au-delà  de l’âpreté de leur quotidien, elles sont libres, très proches de la nature et ne peuvent compter que sur elles-mêmes, comme la plupart des Chinois aujourd’hui. Les filmer dans leurs gestes ordinaires, sans lumière artificielle ni voix off, c’est attester de leur existence. Wang Bing : « en me focalisant sur ces « invisibles » d’aussi près, je crois que je rends leur vie plus grande ».

Au Festival de Fribourg, Les trois sœurs du Yunnan a obtenu le prix du jury œcuménique.

Magali Van Reeth

SIGNIS

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