Littérature – Relire Albert Camus.

Dans une époque troublée, il peut être précieux de relire un écrivain lumineux comme Albert Camus, le Camus romancier qui parle au coeur et à la sensibilité.

Le hasard m’a fait relire récemment deux romans édités à titre posthume, mais pour des raisons différentes.

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Le Premier homme, magnifique roman dit inachevé. Le manuscrit avait été récupéré dans la voiture où Camus a trouvé la mort, suite à un accident en janvier 1960. Il a fallu attendre 1994 pour que ses ayants droits le publient.

Si le roman est dit inachevé, la narration elle-même est parfaitement accomplie.

Le roman devait ouvrir une trilogie, celle du bonheur.

Ce roman autobiographique montre l’écrivain à la recherche de son père tué en 1914 à la guerre, alors qu’Albert Camus n’avait qu’un an. A l’âge mûr, l’auteur revient interroger sa mère et ses proches pour récolter des souvenirs sur le père disparu. Il se heurte au mutisme de sa mère, sourde et illettrée, de même que l’oncle célibataire avec lequel elle partage sa vieillesse.

La mère est ainsi sans souvenirs. Pour Camus, seuls les gens instruits ont des souvenirs, les pauvres, les ignorants vivent dans l’urgence de la survie.

Camus retourne alors à ses propres souvenirs d’enfance. Et le roman est complètement solaire car, malgré la pauvreté et les exigences d’une vie difficile, cette enfance fut heureuse.

Dans ce quartier populaire de Belcourt, à Alger, tout le monde est pauvre ou presque. La pauvreté est digne, on va à l’école dans des vêtements propres et on met ses beaux habits pour les fêtes. Et surtout, les enfants vivent dans une grande liberté, déployant des prodiges d’imagination pour inventer des jeux. Et il y a la mer que Camus ne se lasse de chérir par dessus tout.

Toutefois, Camus n’idéalise pas cette pauvreté, en montrant que la vraie misère, c’est l’ignorance.

Il accorde donc une très grande place à ce magnifique instituteur qui faisait travailler le soir les enfants doués pour leur permettre de poursuivre leurs études au lycée. Cet instituteur a dû arracher à la famille de Camus l’autorisation de le présenter au concours des Bourses car, à douze ans, un enfant devait travailler.

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La mort heureuse, roman peu connu, a été également publié à titre posthume, mais dès 1971, premier exemplaire d’une collection de Gallimard qui s’appelle Cahiers Albert Camus.

Ce n’est pas un livre inachevé, mais un roman que Camus n’avait pas voulu publier. Ecrit en 1936-1937, le roman avait été considéré par son auteur comme trop imparfait ! Camus s’était ensuite engagé dans la rédaction de L’Etranger, reprenant le nom du personnage de La mort heureuse, Meursault. C’est pratiquement le seul point commun entre les deux romans.

Camus est encore jeune quand il écrit ce livre. Son personnage est dans une quête frénétique du bonheur. On imagine que Camus porte encore l’empreinte de son enfance pauvre, car pour lui, dans ce roman, le bonheur passe nécessairement par l’argent, la richesse même.

En effet, la théorie qu’il développe est que le bonheur est dans le temps dont on dispose à sa guise, alors que la nécessité de travailler huit heures par jour vous vole votre temps, donc la vraie vie.

C’est donc particulièrement intéressant de rapprocher ces deux romans. L’écrivain juste sorti de la pauvreté voit le bonheur à travers la richesse, l’écrivain qui a réussi, célèbre, lauréat du prix Nobel, rend à l’enfance pauvre son parfum de bonheur.

Marie Paule Dimet

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Albert Camus

1913-1960

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