G. Rossini, Moïse et Pharaon, 1828

Opéra de Lyon, janvier 2023

Le bel canto en français et sur un sujet biblique. Cela étonne. Est-ce que cela emporte l’adhésion ? Telle n’est pas vraiment la question. Le Festival 2022 d’Aix-en-Provence a présenté la partition dans la mise en scène de Tobias Krazer. Clément Lonca, tout jeune chef et assistant du chef attitré la dirigeait le 24 janvier à Lyon. Ce n’est pas rien de découvrir ce Rossini assez peu connu, qui écrit un opéra en français, qui se montre créatif pour des solistes, bien sûr, mais pour les chœurs et encore pour l’orchestre. Le postlude en particulier et la musique de ballet sont vraiment superbes.

Au terme du premier acte, on se demande où est le récit biblique. L’intrigue amoureuse semble faire oublier le texte et il n’y a que des relents de nationalisme mâtiné de fanatisme religieux. Mais le livret ne développe ni un énième Roméo et Juliette, ni un opéra religieux (c’est tout juste si le personnage de Moïse en est un, qui n’a aucun air, seulement des récitatifs, comme s’il ne pouvait appartenir à l’ouvrage). Le metteur en scène choisit la dimension politique comme ressort du drame, lorsqu’un peuple opprimé réclame et lute pour sa libération.

Ce n’est pas pour rien que les chœurs tiennent une telle place dans la partition. Il y en a deux, un pour chaque camp, Egyptiens et Hébreux, mais encore, ils campent chacun un personnage collectif aussi important que les solistes dans l’équilibre de la partition. Et l’on se met à comprendre que le texte biblique n’est pas si éloigné. L’amour contrarié du fils de Pharaon avec une fille des Hébreux expliquent les atermoiements du roi d’Egypte. Voilà le sujet, hier comme aujourd’hui, la trahison des traités internationaux au gré des intérêts des puissants Le passage de la Mer Rouge a beau être le sous-titre de l’opéra, il n’arrive qu’à la toute dernière scène du dernier acte.

Alors devient sensé que les Hébreux soient des réfugiés, entassés dans un camp aux frontières du monde des puissants et que les Egyptiens campent, si l’on peut dire, le monde de l’opulence et de la force, la force de la richesse et des techniques. Point trop d’interventions divines. Certes la machinerie opératique du XIXe se régalait d’un style péplum. Ici, parce que l’on ne peut plus y croire ‑ et sans doute est-ce préférable pour le matricule divin ‑ les cataclysmes d’un réchauffement climatique suffisent à actualiser les plaies d’Egypte, arrogance d’une société et de ses puissants, qui se croient invulnérables.

Fallait-il que la vidéo montre la noyade ? Le pléonasme est toujours inutile. Le déplacement des réfugiés au milieu de la salle pour la prière finale aurait suffi à dire leur libération alors que l’orchestre se chargeait de raconter l’effondrement du système d’oppression. D’autant que le metteur en scène lui-même n’y croit pas. Il a l’heureuse idée de montrer pendant le postlude, sur une plage, les riches vacanciers continuer leur mode de vie. Ils ne sont pas morts.

La libération n’est pas tant une prise de pouvoir qu’une volonté de sortir de l’horreur. La théologie de la libération a écrit comment les opprimés pouvaient trouver dans l’Exode leur force, non par la magie d’un Deus ex machina, mais par la capacité de se relever, se tenir debout, humains, vivants. L’intelligence de la victime permet de renverser le monde au-delà du ressentiment. Ce sont les dieux tutélaires des nationalismes qui doivent être avalés par la mer.

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