Mendelessohn, Elias, Opéra de Lyon

Faut-il se croire benoîtement éclairé pour penser qu’il faut attendre les Lumières ou le XXIe siècle pour frémir d’horreur à la violence du cycle d’Elie, dans le Livre des rois ? Faut-il déclarer magnanime et ouvert d’esprit que les textes bibliques parlent même au non-croyant, bien sûr non pour asséner une Puissance supérieure à laquelle on ne saurait désormais croire, mais au moins pour dénoncer le fanatisme des foules et des prophètes ? D’ailleurs, le prophète lui-même s’affronte littéralement à la versatilité d’un peuple mal dégrossi, costumé en Monsieur tout le monde, un rien étriqué et rétro, juste quelques décennies d’attardement.

Faut-il pour s’emparer aujourd’hui d’une partition des années 1850 proposer un décor hideux, déjà vu plusieurs fois dans cette même salle, des grilles métalliques, de l’eau qui tombe des cintres, du sang. Pendant tout l’oratorio, les chanteurs se meuvent au milieu de cartons déchirés. On aurait fait cela dans un centre aéré, allant récupérer au supermarché du coin, de vaste plaques de ce carton, pour confectionner des décors à moindre coût.

Sans la laideur des décors, aurions-nous pu croire au conte de fée, à la légende biblique ? Nous en voilà définitivement protégés.

Evidemment, costumier, metteur en scène et décorateur ne sont pas ignares ni sans ressources. Quelques mises en perspectives sont réussies. Le mouvement des échelles dans la lumière en fond de scène suggère aussi astucieusement que sensiblement le char de feu qui emporte le prophète. Le gros plan filmé du visage d’Elie au moment où musiques et textes disent son doute donne comme à voir ses hésitations, son hébétude, lorsqu’il est perdu de ne plus rien comprendre. On n’énonce pas ce qu’il pense, il n’y a pas de message, mais là encore l’on suggère et fait ressentir sa déréliction.

La folle du prophète et du peuple, à l’instar d’un fou du roi, suffisait intelligemment à exprimer le scepticisme devant l’intrusion du divin. On ne comprend rien à ce Dieu veut : le juste est persécuté, la reine assassine jubile de la possession de son pouvoir, le miracle qui sauve un enfant n’empêche pas que tout un peuple, y compris des enfants, se meure, assoiffé par la sécheresse. C’est que le mot dieu est dangereux, ce que l’on attend par dieu. Le détruire est une nécessité salutaire mais n’est pas tant l’affaire de ceux qui s’en passent. Les pourfendeurs les plus décidés sont à chercher du côté des disciples. Dommage que la mise en scène ne le dise pas alors que c’est l’une des nouveautés incroyables du cycle d’Elie. Pourquoi faut-il que la veuve de Sarepta soit violée ? Est cette intrusion divine qui la bafoue et la massacre. Comme une prostituée, elle chante un peu plus tard le trisagion et la louange. Après tout, ce sont les humiliés qui montent l’échelle mystique.

Les chœurs et Elie sont les deux protagonistes. Ils ne quittent pas la scène durant le deux heures trente de l’œuvre. Ils interprètent magnifiquement la partition, soutenus ou alternant avec un orchestre d’une grande clarté. Le chef ne confond pas le gros orchestre romantique de Mendelssohn avec celui d’un Bruckner, et c’est un régal. Certes, il y a quelques coups d’éclats, pourtant, l’impression générale est celle d’une douce prière, murmurée, telle la voix de fin silence à l’Horeb. Rien que pour cette lisibilité de la partition, la beauté des timbres instrumentaux et vocaux, la production mérite que l’on passe par-dessus décor, mise en scène et costume.

Prier deux heures trente, c’est la force d’un oratorio de le rendre possible. Bach est la figure tutélaire, cité à plusieurs reprises. La longue prière, méditation nocturne, où l’on attend que se lève un prophète, non pas tant l’aigle de l’Apocalypse, un dieu panoptique, que l’in-fans démuni de Bethléem. Le Dieu du Carmel, rêve de toute-puissance œdipienne projeté dans le ciel est corrigé dans le texte biblique par celui de l’Horeb, que l’on ne peut deviner qu’à se convertir à la douceur.

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