R. Franc, Je vais bien (roman)

Régis FRANC, Je vais bien, Les Presses de la cité, Paris 2023

Ils sont nombreux ceux dont la vie, sans être horrible, ne permet pas de trouver le bonheur. Ce n’est juste « pas terrible », à tous les sens du terme, a priori banal. Est-ce de leur faute, comme s’ils avaient refusé de se faire jardinier de joie ? « Dire par le menu ce que furent leur vie, autrement qu’en mots convenus. Incapables d’explorer le détail, qui toujours est ce rien sans importance qui dit plus et mieux. Comme si leur vie, leurs jours ne valaient pas grand-chose et qu’il en soit ainsi pour les siècles. […] Je ne me sens aucun talent pour inventer […]. On n’entre pas dans la chambre des parents. »

Rupture de la transmission dans un monde ouvrier, ou plutôt du petit artisanat d’une ruralité sans richesses, mort de la mère alors que les enfants sont encore petits, incapacité des adultes à se mettre à hauteur d’enfants pour entendre, comprendre. Les profs comme les parents préfèrent crier, menacer voire frapper que se creuser la tête. Et l’enfant fait ce qu’ils font, ne pas se creuser la tête, quand bien même tout de la vie lui pose question, lui creuse la tête.

Cela pourrait faire une histoire de plus sur la faillite des familles, dont il est vrai, on ne sait pas bien ce qu’elles auraient dû ou pu faire de plus ou de mieux. Mais surtout, vient un temps où s’impose la suspension du jugement – qui sommes-nous pour juger ? ‑, pourquoi d’ailleurs faudrait-il juger ?

L’interdit de juger – et tu ne seras pas juger – s’oppose à un atavisme trop humain, réclame un effort pour être à hauteur… d’aïeux. Le recul cynique de l’auteur pourrait être le moyen de respecter l’interdit, meilleure façon de ne pas prendre les promesses non tenues de la vie en pleine figure et bricoler à son tour une existence si semblable dans ses différences mêmes, vie recommencée, un métier, des enfants. « Cette sensation d’avoir atterri nulle part et de n’être attendu par personne. [… Il] « aura de la chance » prédit la sage-femme. J’aime à le croire. »

Le cynisme n’empêche pas d’aimer ni de respecter. Au contraire, il permet de ne pas se faire une montagne des incompréhensions de sorte qu’il ne peut s’agir d’en vouloir à qui que ce soit et d’inventer la paix, d’aller et venir dans la paix. « Je vais bien », en définitive.

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