Welfare (Wiseman/ Deliquet)

Théâtre des Célestins, 24 janvier-3 février 2024

Il y a cinquante ans, Frederik Wiseman, produisait un documentaire, Welfare, sur les hommes et les femmes qui se rencontrent dans le cadre de l’Aide sociale à New-York. Depuis, l’homme aujourd’hui âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, à la carrière reconnue, n’a cessé de montrer pour les dénoncer les mises à l’écart de diverses parties de la population dans une société qui revendique d’être la garante des droits humains.

Dernièrement, il propose à Julie Deliquet, metteuse en scène et directrice de théâtre, d’adapter pour les planches son travail de 1973. Et voilà que, sans quasi aucune ride, les séquences montées il y a un demi-siècle après des heures de tournage, prennent vie sur plusieurs scènes françaises à commencer par la cour d’honneur à Avignon l’été dernier.

A la frontière entre sociologie et fiction, débarquent des hommes et des femmes que peu de spectateurs sans doute connaissent, mieux, les spectateurs sont embarqués avec ces hommes et ces femmes pendant deux heures trente, pour les écouter, les aimer ou les détester, les juger ou les comprendre, demandeurs d’aides et travailleurs sociaux.

Tous les comédiens sont sur le plateau du début à la fin, dans une forme de huis clos où se dit la misère du monde, la grandeur et la mesquinerie de chacun, sa force et son épuisement. Plusieurs répliques, qui sont en réalité des propos tenus par les uns et les autres en 1973, ont la force et la forme de tirades de Molière, acides, drôles, émouvantes, dénonçant. On côtoie la maladie psychiatrique, la résistance ou l’impossibilité à rentrer dans le rythme et les cadres de la société, les familles qui aident autant qu’elles enfoncent sous l’eau leurs membres, la bureaucratie digne de Kafka, la beauté de la solidarité, le sérieux ou le dilettantisme, la vie simple et la fraternité autant que la banalité de la haine.

L’ensemble joue juste, sans sur-jeu, dans une bienveillante distance qui s’interdit de juger. C’est assez remarquable. Et si une fois ou l’autre on se dit que le texte aurait pu être plus court, on se reprend assez vite. Comment écouter la misère sans un sentiment de profond découragement et même d’écœurement ? On n’en peut plus. Qui est « on » ? Les spectateurs ou les personnes qui viennent chercher de l’aide, les fonctionnaires, chacun, tous ?

Alors que l’on continue à dire que les allocations sociales coûtent cher à la société, que les pauvres profitent du système et que sans cesse on rend plus difficile l’accès au partage et accroît les inégalités, le spectacle fait toucher que vivre dignement n’est pas affaire de réussite mais de droit.

Que fait Dieu ? Il aide encore moins que l’Aide sociale, c’est dire ! et pourtant, il est le refuge, celui qui permet de chanter Alleluia ; aussi dure que soit la vie, se réjouir ou devenir fou.

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