P. Auster, Baumgartner (roman)

Paul Auster, Baumgartner, Actes sud, Arles 2024

Un titre de biographie : Baumgartner. Aucune allusion biblique explicite, et cependant ce nom a une saveur d’Eden, jardinier, littéralement gardien de l’arbre. Si peu de lignes, et déjà la narration démarre en trombe. Des possibles s’ouvrent à l’infini.

Professeur de philosophie ‑ de phénoménologie, attaché à ce qui apparaît comme si l’être était toujours déjà une construction – l’homme demeure comme amputé ; sa femme, os de ses os et chair de sa chair est morte depuis dix ans. Elle était poétesse. Plus rien ne fait sens. La vie et le monde ont-ils d’ailleurs jamais eu un sens ? Qu’est la vie s’il n’y a plus de nord pour s’orienter ?

Provoqué par des je-ne-sais quoi, des presque-rien, il y a urgence à commencer autre chose. Et, d’un seul coup, plus rien. Ou plutôt, avec les mots de saint Augustin, le dédale des vastes « palais de la mémoire » et davantage de possibles encore, non pas seulement retour en arrière, puisque c’est aujourd’hui que l’on se souvient. (En creux, on constatera que l’affirmation de la vie après la mort aurait au moins l’intérêt de libérer de la prison du souvenir, au risque de la fin, but ou dernière échéance.)

A partir d’un certain âge, on a connu plus de personnes décédées que l’on ne connaît de vivants. Paul Auster, qui se sait proche de sa mort, interroge avec humour et délicatesse la capacité d’être gardien de l’arbre de la vie, vivant jusqu’à la fin. L’amour est la seule parabole de la vie, à moins que ce ne soit l’inverse. Dans un dernier pied-de-nez à l’exigence de sens, il ne raconte pas la fin de ce qui sera son dernier roman. Baumgartner n’est pas Moïse qui seul put raconter sa mort, mais il n’entra pas dans la Terre…




« La petite fleur était si petite
qu’elle n’avait pas de nom
aussi appelai-je ma découverte
la « Gemme »
mais alors je me ravisai
et renommai le petit, tout petit point
de rouge vif éteincelant
le « Comment allez-vous
Mrs Dolittle et où
étiez-vous donc ces derniers temps ?
 » (p. 55)
« Le moment venu, que lui soit accordée une fin digne, un arrêt cardiaque au milieu d’une dernière phrase à lui, de préférence les derniers mots d’un grand allez-vous-faire-foutre adressé aux fous avides de pouvoir qui règnent sur le monde. Ou mieux encore, de rendre l’âme dans la rue, en route vers un rendez-vous de minuit avec celle qu’il aime. » (p. 71)
« Le père, prisonnier de sa propre détresse, contemple la scène comme de l’extérieur, horrifié par ce qu’il vient de faire, se rétractant après l’éclat de fureur jailli de sa main, qui l’a conduit à attaquer son enfant, comme si, pour la première fois depuis qu’il est père, il commençait à comprendre que les pères ont sur leur fils un pouvoir illimité et qu’abuser de ce pouvoir, c’est se changer en tyran et en brute épaisse. » (p.122)
« Ce qui me ramène à mon point de départ, à cette question sans réponse : que faut-il croire si on ne peut être sûr que ce qui est présenté comme un fait est vrai ? » (p. 164)

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