aux Subsistances : UNE SAISON EN ENFER

Le Laboratoire international de création artistique des « Subsistances » nous propose actuellement et jusqu’au 24 septembre :

Z .Je me crois en enfer donc j’y suis

et affiche en même temps , en quadrichromie le portrait d’Arthur Rimbaud, ne laissant pas de doute sur l’origine de la « performance » : « Une saison en enfer », dont le titre de la prestation est extrait.

Quelle bonne idée de permettre et d’accueillir en résidence pour la création un trio d’artistes issus de cultures éclatées :Lukas Hemleb, metteur en scéne, Ned Rothenberg, musicien New Yorkais, et Tadashi Kawamata ,plasticien Japonais . Les « Subsistances » répondent bien ainsi à  leur vocation , qu’il n’y a pas si longtemps, on appelait :théâtre d’essai , et où l’an dernier un «Hamlet » époustouflant avait été montré .

Le texte , incandescent , brûlant même, en un mot « fulgurant » est bien un texte à  dire, à  proférer, et plusieurs comédiens s’y sont déjà  « essayés » , reste à  savoir si la musique du texte, véritable révolution de l’écriture poétique, et l’imaginaire ,que sollicite le poète écorché vif, devenu voyant d’un monde où il nous entraine de façon violente, peuvent être servis par une « mise en scène ».
C’est le pari de ce spectacle, où le texte, fait de morceaux choisis, est éclaté entre trois comédiens, dont le programme nous indique qu’ils évoquent Verlaine et l’entourage de Rimbaud. Déconstruction voulue, dont les créateurs voudraient faire apparaître une nouvelle synthèse , comme on parle de musique synthétique.

Deux musiciens , aux instruments associant une flûte japonaise de la tradition japonaise, le « daxophone »,emprunté à  la panoplie de la musique expérimentale, guitare et clarinette s’emploient à  composer un contre point musical ,en même temps que les comédiens évoluent sur un praticable en bois brut en forme de Z,(que l’on pourrait facilement imaginer exposé à  la Biennale),allant de déambulations en glissades, d’apparitions en disparitions, dont ni le sens, ni l’esthétique n’emportent la conviction de leur nécessité, mais comme nous y invite Rimbaud à  la fin du texte, « il faut être moderne »,soit

Restent l’universalité de la plainte existentielle, inscrite dans la chair de l’homme, projeté entre le ciel et l’enfer, la soif inextinguible, la faim insatiable, l’appel du désert, la révolte, la tentation du blasphème , inspiré par la souffrance à  être en état de manque. Cette quête , cette « gourmandise de Dieu »,qui tout en niant son existence ne peut s’empêcher de l’interpeller, de l’apostropher est au cœur de cette saison, morceau de vie ,en partance pour un ailleurs ,un silence après le terrible orage des mots, un silence qui est encore de Rimbaud. Peut-on chercher avec tant de douleur ce que l’on n’a pas déjà  un peu trouvé ?

Artaud, Rimbaudet puis Claudel, avec l’Annoncier, au début du Soulier de Satin : « Ecoutez bien, ne toussez pas, et essayez de comprendre un peu .C’est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau ».Le spectacle qui nous est proposé nous donne-t-il à  écouter à  défaut de tout comprendre ?

Hugues Rousset

site des Subsistances

la 8ème Biennale d’Art Sacré Actuel à  l’Ecole La Mache

En marge de la Biennale d’Art Contemporain, il existe une autre Biennale, celle de de l’Art Sacré Actuel…. pour sa 8ème édition la BASA (Biennale d’Art Sacré Actuel du 23 septembre au 17 décembre Confluences Polycarpe 25 rue René Leynaud LYON1er ) a décidé de proposer 3 expositions « hors les murs » afin d’offrir plus d’occasion de découvrir des œuvres inédites de certains des artistes sélectionnés pour cette édition.

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Et Maintenant on va où ?

de Nadine Labaki

France/Liban, 1h50, 2011.

Festival de Cannes 2011, sélection Un Certain Regard, mention spéciale du prix oecuménique.

Sortie en France le 14 septembre 2011.

avec Claude Msawbaa, Leyla Fouad, Antoinette El Noufaly.

Ancrée dans la réalité libanaise, une comédie savoureuse et débridée porte, avec un groupe de femmes, l’espérance de la paix et de fraternité dans un pays débordé par la violence interne.

Remarquée en 2007 avec son premier long métrage Caramel, Nadine Labaki est revenue à  Cannes en 2011 avec Et Maintenant on va où ? dans la sélection Un Certain Regard. Peu de cinéastes travaillent au Liban, pays en guerre depuis des années. Mais pour la jeune réalisatrice, il est important de dire la réalité du quotidien et d’ancrer son travail au cœur de la culture et de l’actualité de son pays.etmaintenant_02.jpg

Ravagés par des attentats meurtriers, brisés par des guerres de clans, séparés par des querelles religieuses et ravagés par le conflit entre Israël et la Palestine, les Libanais aiment leur pays et cherchent, notamment à  travers la création artistique, à  comprendre l’origine de cette violence pour pouvoir la contourner. Avec ce film, Nadine Labaki rappelle combien le rôle des femmes (mères, épouses, sœurs ou amantes) est essentiel pour contrer la violence culturelle des hommes.

L’action se déroule dans un petit village où cohabitent chrétiens et musulmans. Les femmes vivent dans une joyeuse et chaleureuse harmonie, plaisantant sans retenue sur leurs physiques, leurs vêtements ou leur vie amoureuse mais avec un grand respect des différences religieuses, des deuils nombreux que porte chacune. Les hommes sont des blocs de violence et d’orgueil, prompts à  s’enflammer au moindre soupçon, à  la plus légère maladresse Usées par la douleur, les femmes s’organisent pour ramener la paix au village.

Tourné comme une comédie, avec une galerie de personnages croustillants, Et Maintenant on va où ? est un moment de grâce pour le spectateur. La liberté de ton de ce groupe de femmes est un vrai bonheur, provoquant aussi bien l’éclat de rire que l’émotion ou l’admiration. Les passages tournés en comédie musicale, sur fond de musique orientale bien sûr, sont d’une justesse incroyable. La première scène a la force d’une allégorie de peinture classique, dont le titre serait « Femmes en noir allant au cimetière ». Une chorégraphie psalmodiée, un paysage aride, le Moyen-Orient biblique et la beauté éternelle des femmes qui cognent contre la violence stupide des hommes. Un grand moment de cinéma !

Du cinéma aussi tout au long de ce film, dans le soin apporté à  la lumière, aux cadrages et à  la fluidité des scènes de groupes. Car il n’y a pas un personnage principal dans Et Maintenant on va où ? mais des groupes de personnes qui agissent ensemble. Dans ce village libanais, comme dans tout le pays, les relations se tissent de clan à  clan. On appartient à  une religion, à  un village, à  une famille, à  un groupe de femmes, à  une bande de jeunes. Une solidarité et une chaleur indispensable mais dont il est difficile de s’extraire pour changer les habitudes de méfiance et d’intolérance.etmaintenant_01.jpg

Au Festival de Cannes 2011 où le film était présenté dans la sélection Un Certain Regard, il a obtenu le prix François Challais et une mention du prix du Jury œcuménique, avec le commentaire suivant : « Les habitantes d’un petit village isolé sont prêtes à  tout pour préserver la paix entre les deux communautés qui y cohabitent. Avec beaucoup de finesse et de tact, Nadine Labaki réussit une fable poétique en équilibre délicat entre comédie et tragédie, suscitant une émotion tournée vers l’espoir. »

Magali Van Reeth

Signis

La Fée

de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy

France/Belgique, 1h33, 2011.

Festival de Cannes 2011, Quinzaine des réalisateurs.

Sortie en France le 14 septembre 2011.

avec Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy.

Une fantaisie pleine de charme ! Ici, les héros sont des petits, des sans-voix, les blessés de la vie qui ont droit à  un peu de magie, grâce au burlesque et à  la poésie, pour embellir leur quotidien, et le nôtre.

Loin des exigences du cinéma commercial, ce trio de réalisateurs, issu du spectacle vivant, fabrique des films à  l’écriture très personnelle. Après L’Iceberg (2005) et Rumba (2008), on retrouve dans La Fée ce séduisant bricolage où le corps des acteurs dialogue avec l’épaisseur de la vie, les couleurs des décors, le rire et l’émotion.fee2.jpg

La Fée est entièrement tourné au Havre, dont le centre ville, détruit pendant la seconde guerre mondiale, a été reconstruit par l’architecte Auguste Perret. Le graphisme de la ville, entre la rigueur du béton et l’harmonie rythmée des volumes, convient tout à  fait à  la fantaisie très structurée du film. Sur les façades grises, le moindre rayon de soleil est un enchantement ; face à  la rigueur des immeubles, les corps des personnages éclatent d’une vie plus joyeuse.

Dans un petit hôtel, des clients qui ne peuvent pas payer et des clandestins, en partance pour un ailleurs improbable, croisent une fée. Non pas une fée moyenâgeuse en longue robe moirée mais une fée en survêtement baskets, même si elle lorgne du côté des escarpins roses. Il y aura des aventures rocambolesques et des rebondissements loufoques avant d’arriver au « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». Qui permettent au trio de réalisateurs de faire passer à  l’écran les créations de leurs imaginations débordantes. Les gags sont visuels, le corps des acteurs étant une matière aussi malléable qu’expressive.

Plus que des acteurs classiques, les comédiens/réalisateurs, Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy, sont aussi danseurs, clowns, mimes, chorégraphes. Les images explosent de formes, de couleurs et de détails qui chacun, disent encore une histoire. On croise des handicapés, des pauvres, des taiseux, des loufoques ; on va à  l’hôpital, pour réparer une jambe ou protéger la société d’une différence qui fait peur. C’est drôle et c’est poignant, c’est physique et c’est poétique, c’est simple et élégant. fee4.jpg

Les réalisateurs revendiquent pleinement cette ambiance : « Le burlesque, c’est le désir de faire rire les spectateurs avec des images, des cadres, des corps, des couleurs, des sons, des décors, avec tous les outils que nous offre le cinéma. Plus les situations des héros sont tragiques, plus il y a de matière burlesque. La poésie, c’est indéfinissable, mystérieux, intime, reposant, personnel, profond La poésie et le rire, l’un nourrissant l’autre et réciproquement. »

Un film qu’on peut voir en famille et pour enfants à  partir de 6 ans.

Magali Van Reeth

Signis

Habemus papam

de Nanni Moretti

Festival de Cannes 2011, sélection officielle.

Italie, 1h42, 2011.

Sortie en France le 7 septembre 2011.

avec Michel Piccoli, Jerzy Stuhr, Nanni Moretti.

De beaux costumes, un rituel spectaculaire, des bâtiments grandioses, un réalisateur qui sait jouer de l’émotion et de l’humour, et l’élection d’un nouveau pape devient un joli moment de fiction et de cinéma.

Réunis en conclave pour élire le pape, les cardinaux du monde entier sont coupés de l’extérieur pendant quelques jours. Le nouvel élu, écrasé par cette charge qu’il n’avait jamais envisagée, traverse une longue période de doute et demande un peu de répit avant d’affronter les obligations de cette élection. Cela n’étant pas prévu par les usages très codifiés du Vatican, commence une période d’attente, d’incertitude et d’imprévus qui vont apporter une note de fantaisie dans ce groupe très sérieux.
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Un conclave est un huis-clos fascinant pour un metteur en scène, on l’a vu au moment de l’élection de Benoît 16, lorsque les médias internationaux, même ceux des pays les plus laïques, ont campé pendant plusieurs jours place Saint-Pierre à  Rome. D’autant plus que tous les protagonistes portent de magnifiques costumes rouges, ornés de dentelle blanche et de dorures. Pourtant, pour le réalisateur italien, Nanni Moretti, le propos dépasse celui de l’élection d’un pape : « J’ai raconté à  ma manière un monde bien précis, qui est celui du Vatican. Mais je pense que les thèmes du film et l’angoisse du personnage principal peuvent concerner également d’autres réalités, d’autres mondes, et toucher des spectateurs très éloignés des personnages que je mets en scène. »

Si Habemus papam adopte le ton de la comédie, la détresse de cet homme, face à  cette charge, est poignante. Il est sincèrement perdu et s’il ne remet pas en cause sa foi, il doute de ses capacités physiques à  endosser ce rôle. En jouant sur le double sens de ce mot, « rôle », Nanni Moretti fait une mise en abîme avec une troupe de comédiens répétant Tchekov. Un des acteurs principaux, passionnément dans son rôle, frise la folie. Les répliques disent la difficulté de vivre, de faire des choix. Les psychanalystes aussi sont à  la fête, toujours prompts à  dénoncer les manques de leurs patients mais incapables d’agir dans leur vie personnelle.

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Michel Piccoli interprète avec brio, et une touchante humanité, le personnage principal, le cardinal Melville. Nom très bien choisi qui fait le lien avec le romancier américain, auteur du célèbre Moby Dick, dont tous les romans sont hantés par l’échec et une immensité à  conquérir.

Comédie sur le doute et l’épuisement d’un vieil homme dans des circonstances très particulières, Habemus papam se moque gentiment des rites en usage au Vatican, mais c’est sans vulgarité ni méchanceté. C’est du beau cinéma et le spectateur en sort plutôt réjoui !

Magali Van Reeth

Signis

La Guerre est déclarée

de Valérie Donzelli

France, 1h40, 2010.
Festival de Cannes 2011, Semaine de la critique.

Sortie en France le 31 août 2011.

avec Valérie Donzelli et Jérémie Elkaim.

Un couple face à  la maladie de son enfant : un film dynamique, optimiste sans naïveté, qui raconte d’abord une formidable histoire d’amour.

Une histoire dramatique – le cancer chez un bébé – est un sujet de film à  lui tout seul. Quand en plus elle est vraie et autobiographique, comment faire du cinéma, malgré tout ? La réalisatrice et actrice Valérie Donzelli, et son compagnon Jérémie Elkaim, ont vécu des années aussi longues que difficiles en accompagnant leur fils. Parcours du combattant, où il faut résister, affuter ses parades, trouver des armes pour répliquer, ne pas sombrer face au désastre. Parfois la maladie gagne du terrain, parfois on sent la victoire toute proche. Le vocabulaire est militaire : le couple entre en guerre lorsque le cancer se déclare.guerre3.jpg

Plus que l’histoire d’un enfant malade, La Guerre est déclarée raconte l’histoire d’amour qui a donné naissance à  cet enfant et qui a nourri les parents pendant ces années de lutte. Plutôt que de nous apitoyer, la réalisatrice garde jusqu’au bout la volonté de faire des images dynamiques et donne une incroyable vitalité à  chaque scène. N’hésitant à  faire de l’humour, à  donner de la légèreté à  ses personnages et à  introduire quelques passages en chanson dans ce récit d’une longue et douloureuse bataille.guerre2.jpg

On peut juste regretter que Valérie Donzelli se soit parfois égarée dans son récit, à  trop vouloir tout dire et que la fin du film ne soit pas aussi équilibrée que le début. Dès que la réalité reprend le dessus, le film perd en intensité et en créativité. La Guerre est déclarée est cependant un joli moment de cinéma et une belle leçon de vie.

Magali Van Reeth

Signis