Tout est permis

de Coline Serreau

France, 2014, 1h36

Sortie en France le 9 avril 2014.

documentaire

Documentaire sur le permis de conduire et ces Français qui se croient « tout permis », une comédie humaine, drôle et noire en même temps, comme le définit bien la réalisatrice.

Réalisatrice française célèbre pour ses comédies populaires, aussi drôles que pertinentes car les phénomènes de société servent de toile de fond – Trois hommes et un couffin (1985), La Crise (1992) ou Chaos (2001) – Coline Serreau nous propose aujourd’hui un documentaire décapant sur nos comportements au volant. Il y a 20 ans, la France instaurait le « permis à  points ». 12 points pour chaque conducteur et à  chaque amende ou effraction, des points en moins selon la gravité. Pour récupérer des points et pouvoir continuer à  conduire, un stage de sécurité routière est obligatoire.

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La réalisatrice a trouvé là  des gens issus de toutes les classes sociales et de tous les âges, qui aiment conduire et peuvent dire « c’est pas la vitesse que j’aime, c’est les accélérations »… Des récidivistes sûrs de leur façon de conduire, qui s’estiment victimes de la bêtise des autres et de la cupidité du gouvernement. Pour Robert Thibault, intervenant de stage : « C’est aussi un vrai portrait de société. Nous vivons dans une société qui va trop vite. Si vous n’êtes pas le premier ou la première vous passez pour un bon à  rien. Ces individus, souvent commerciaux ou chefs d’entreprises, ont l’impression qu’ils sont « obligés » de conduire vite. Comme ils sont « obligés » de téléphoner au volant. Il reste du chemin à  faire avant que la « bagnole » cesse d’être un symbole de puissance. »

La leçon sera donc aussi pour le spectateur qui pourra apprendre que 90 pour cent des Français ont entre 12 et 10 points sur leur permis ou que, comme le dit très bien un expert en sécurité routière : « Les infractionnistes compulsifs sont minoritaires, mais ils sont quelquefois soutenus par des lobbies industriels puissants qui relayent et amplifient considérablement leurs propos dans les différents médias. »

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Un film salutaire qui, sans commentaire, mais simplement en donnant la parole à  de nombreux protagonistes, permet de dézinguer les lieux communs (à  propos des autoroutes allemandes ou du nombre de personnes qui conduisent sans permis) et de pointer du doigt les lobbys des alcooliers et de l’industrie automobile qui encouragent la vitesse sur la route et la consommation d’alcool en toutes circonstances. Paroles de ceux qui participent à  ces stages, contraints puisqu’ils ont perdu tous leurs points. Et paroles bien différentes de ceux qui animent ces stages et dont le rôle est d’abord de faire prendre conscience que chacun est responsable des autres.

Magali Van Reeth

SIGNIS

Real

de Kiyoshi Kurosawa

Japon, 2013, 2h07

Sélection officielle Locarno 2013

Sortie en France le 26 mars2014.

avec Haruka Ayase et Takeru Satô.

Avec un soupçon de science-fiction, quelques frissons et rebondissements, l’histoire d’un jeune couple qui puise ses forces dans l’amour pour vaincre bien des monstres.

Réalisateur prolifique, Kiyoshi Kurosawa travaille aussi bien pour la télévision que pour le cinéma et ses longs métrages de fiction sont souvent sélectionnés dans les grands festivals européens. L’an dernier, on a pu voir en salle les deux volets de Shokuzai. Très tôt, il a été connu pour ses films tirant souvent du côté fantastique, non pas celui qui fait peur (même si parfois…) mais celui qui amène le spectateur aux coffins de la complexité humaine. Il est aussi capable de toucher un plus large public, comme avec Tokyo Sonata en 2008.

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Real est l’histoire d’un jeune couple amoureux. Atsumi et Koichi se sont connus à  l’école primaire, dans une petite île japonaise, perdus de vue et retrouvés à  l’université. Suite à  une tentative de suicide inexpliquée, Atsumi, créatrice de mangas, est dans le coma. L’équipe médicale propose à  Koichi d’entrer en contact avec elle, grâce aux dernières découvertes dans le domaine des neurosciences. On sait que le cinéma demande un minimum de croyance de la part du spectateur, les films fantastiques encore plus. Heureusement ici, les explications scientifiques sont réduites au minimum, le sujet du film étant ailleurs, dans la possibilité de cette communion entre l’inconscient de deux personnages.

Dans la brume des rêves, deux êtres se cherchent et concentrent tout leur amour pour ne pas se perdre, pour aider l’autre « à  trouver la sortie ». Kiyoshi Kurosawa utilise sans lourdeur les effets spéciaux et une belle palette de lumières pour nous faire entrer dans cette « inconscience » si pertinente où les peurs enfouies deviennent de véritables monstres. Pour revenir à  la vie, dans la réalité de leur amour, Atsumi et Koichi ont à  se battre contre la culpabilité. La leur mais aussi celles de leurs pères. Un thème récurrent dans le cinéma japonais mais qui touchera bien des spectateurs occidentaux !297916_25b0906b15c1cc5f1463ec68eda7ee32.jpg

A mi-chemin entre le conte fantastique et le poème visuel, Real est aussi une histoire d’amour où la force des sentiments permet à  ce jeune couple de s’arracher aux ténèbres de l’enfance.

Magali Van Reeth

Bobines du sacré. Festival Religions et cinéma

Pour la deuxième année consécutive, les Bobines du sacré, festival Religions et cinéma, questionne la place des religions au cinéma. Projections de documentaires et de webdocs en présence des réalisateurs et conférences animées par de grands noms de l’histoire des religions ponctuent dix jours de réflexion autour du thème du Vivre ensemble, dans toute la ville de Lyon.

du 1er au 12 avril 2014

L’idée des Bobines du sacré est née du constat qu’en France, il n’existait pas de festival traitant des religions au cinéma. Organisé par l’Institut Supérieur des Etudes Religieuses et de la Laïcité (ISERL), ce festival se penche sur le rapport entretenu par le septième art et les religions. A travers une vingtaine de projections (films, documentaires) et trois conférences, plusieurs problématiques sont abordées :

  • La diversité des relations
  • Réactions autour de la création
  • La figure du missionnaire dans sa rencontre avec l’autre
  • Vivre en communauté

Ouvertes au public et aux scolaires, les projections et les conférences sont suivies de débats, dans une volonté de nourrir les réflexions autour des thèmes évoqués. De plus, ce festival s’inscrit désormais dans le paysage culturel lyonnais puisque plusieurs institutions accueillent cette année les manifestations du festival, comme la Bibliothèque municipale de Lyon, le Rize de Villeurbanne, le cinéma Les Alizés de Bron et la Maison de l’Orient et de la Méditerranée. Une journée est aussi prévue à  l’Université de Montpellier.
En présence de Philippe Martin, directeur de l’ISERL, Céline Dréan, réalisatrice du documentaire Dans les murs de la Casbah (prix Medea et Grand prix du FUP 2013), François Boespflug, historien des religions etc
L’ISERL Créé en 2009, l’Institut Supérieur d’Études des Religions et de la Laïcité fédère plusieurs laboratoires issus de deux universités principales : l’Université Lumière Lyon 2 et l’Université Jean Moulin Lyon 3. Il s’intéresse aux religions sous plusieurs aspects (philosophie, droit, anthropologie, histoire, lettres). Cette pluridisciplinarité permet de questionner la vie sociale religieuse de l’Antiquité à  nos jours.

Programme : bobines2014programme2.pdf

Contacts
Louisa Charfa
Chargée de communication de l’ISERL
louisa.charfa@univ-lyon2.fr
04 26 31 87 98
Magali Guénot
Doctorante
magali.guenot@univ-lyon2

La Cour de Babel

de Julie Bertuccelli

France, 2013, 1h29

Sortie en France le 12 mars 2014.

documentaire.

Réunis pour quelques mois dans une classe, des adolescents venus du monde entier découvrent une diversité culturelle qui va profondément les faire évoluer dans leurs apprentissages.

Depuis de nombreuses années, le système scolaire français propose des « classes d’accueil » dans certains collèges, pour les élèves qui ne maîtrisent pas bien le Français ou qui viennent d’arriver en France. La réalisatrice Julie Bertuccelli, qui alterne les documentaires (Bienvenue au grand magasin, 1999) avec les films de fiction (Depuis qu’Otar est parti, 2003), a passé une année scolaire dans la classe d’accueil du collège de La Grange aux Belles à  Paris. BABEL__1.jpg

Venant de plus de 20 pays différents, ces adolescents découvrent peu à  peu le système scolaire français, une autre langue et, au contact de leurs camarades de classe, d’autres cultures. A un âge où le bouleversement physique est important, s’ajoute un bouleversement affectif et culturel. Ils ont entre 12 et 15 ans et sont donc arrivés là  sans l’avoir décidé par eux-mêmes, pour rejoindre leur famille, pour suivre un parent dont le travail imposait un déménagement, pour éviter la misère ou l’intolérance religieuse. Rien ne les relie, rien ne les rassemble, hormis cette classe.

Pour les guider, Brigitte Cervoni, professeur de français de cette classe d’accueil. Patiente et discrète, ferme et douce, elle est le chef d’orchestre de cette drôle de cacophonie linguistique, où les différentes personnalités et traditions de chacun des élèves se percutent de plein fouet. Elle sait être attentive sans familiarité, bousculer sans humilier. Elle incarne le respect de l’autre qu’elle veut enseigner aux élèves.286989_7c6d5e7efd141697e5197347db6d1dd7.jpg

Avec finesse, Julie Bertuccelli se glisse au cœur de la classe et nous donne à  voir et à  entendre le palpitement d’un être en construction. Même s’ils ne maîtrisent pas encore bien la langue, ces adolescents arrivent à  partager leurs indignations et leurs enthousiasmes. Une des scènes les plus émouvantes est celle de la discussion sur les religions et les croyances. Si Maryam (Lybie) est effrayée de constater que dans l’Afrique noire et chrétienne, on se dit bonjour avec « des mots du Coran », Marko, juif et serbe, nous touche par l’évocation pudique des agressions des néo-nazis dont il a été victime.

La réalisatrice sait ne pas enfermer son documentaire dans un catalogue de voyages ou un hymne à  la diversité. Ces jeunes sont aussi des adolescents ordinaires. Ils souffrent de la séparation de leurs parents, de leur échec scolaire, ils sont heureux de jouer d’un instrument de musique devant leurs camarades, et si la dispute entre « cheveux crépus » est aussi drôle que poignante, ils portent tous la même espérance : entrer définitivement dans leur classe de rattachement, se fondre dans la normalité.babel_3.jpg

La Cour de Babel est un documentaire touchant et intelligent, jusque dans le choix du titre, évoquant la cour de récréation et le mythe biblique. Un beau film, qu’on peut proposer aux spectateurs qui ont l’âge des protagonistes !

Magali Van Reeth

Week-ends

d’Anne Villacèque

France, 2014, 1h30

Sortie en France le 26 février 2014.

avec Karin Viard, Noémie Lvovsky, Jacques Gamblin, Ulrich Tukur.

La maison, désir du couple et abri de la famille, est un refuge contre les agressions extérieures mais elle peut être aussi un lieu de tension en soi et le signe visible d’une usure du temps.

L’histoire se déroule en Normandie que où deux couples d’amis de longue date ont acheté deux maisons de campagne mitoyennes. Christine et Jean et Sylvette et Ulrich y viennent régulièrement, avec ou sans enfant. Lorsqu’un couple est en crise, l’autre en subit forcément les conséquences. En quelques week-ends étalés sur 2 ou 3 ans, Anne Villacèque nous emmène au cœur de leur quotidien et de leur détresse. Avec l’aide du chef opérateur Pierre Milon, le film s’ancre dans les couleurs naturelles d’un bord de mer un peu humide, où la transparence laiteuse du ciel d’hiver répond à  la douceur des visages de ces couples qui ont vieilli sans y penser. 305190_b065ee1a2d4e2d14f4f1a585192a90bd.jpg

Déjà  dans Petite Chérie (2000), la réalisatrice instillait, dans le concept même de « la maison », une angoisse terrible. Pour décorer leur foyer, pour aménager leur nid, les personnages étaient prêts à  des concessions quasi monstrueuses, où ils donnaient une part de leur liberté. Dans Week-ends, la maison est le personnage principal, le lieu du conflit, le territoire convoité. Elle est l’enjeu d’une guerre domestique, avec ses dommages collatéraux sur les enfants et les voisins. Sortant de l’idée classique de la maison (refuge, havre de paix, source de bonheur et de satisfaction), elle montre que l’investissement d’un lieu peut se faire au détriment des relations entre ceux qui l’habitent, que l’ancrage définitif peut être vécu comme un emprisonnement et que les tensions familiales ne se résolvent pas avec un changement de papier peint ou de mobilier, voire même de conjoint. Le bouillonnement de l’individu en circuit fermé est toujours source de danger…

Dans Week-ends, il y a 4 personnages qui se connaissent depuis longtemps et se voient souvent. Incarnés par de grands comédiens, Christine (Karin Viard) et Jean (Jacques Gamblin) et Sylvette (Noémie Lvovski) et Ulrich (Ulrick Tukur) habitent aussitôt leurs maisons et le film, tant ils sont présents à  l’écran. On les « reconnaît » dans leur complexité, par la façon dont ils incarnent une scène, en apparence très simple mais qu’ils campent sans bavardage. Quant aux personnages secondaires, ils débarquent dans le film sans explication inutile et on sait d’emblée qui ils sont. La mise en scène fait avancer le récit, sans recours aux dialogues explicatifs. 305190_6611581acf8960179a4021162f3259f9.jpg

Même lorsque chacun reprend sa place, cette « place » que Christine défendait bec et ongles dans la scène d’ouverture, Anne Villacèque refuse le final conte de fées ou le parti prix pour l’un ou l’autre des personnages. Elle laisse deviner les failles de chacun et se garde de toute conclusion définitive. Dans une belle explosion domestique – pour rester dans le cadre de la vie ordinaire – elle met à  nu Jean le taiseux qui, tel un oiseau affolé par la pleine lune pose cette question terrifiante : et après ?

Week-ends fait partie de ces films dont l’apparente simplicité peut décontenancer. Pas de thèse psychologique, pas de grandes effusions, de drame ou d’horreur. Juste le déroulement naturel et implacable des semaines. Mais plus on revient au film, plus on se rend compte de sa richesse et des questions qu’il soulève. Quels sont les ingrédients qui font tenir un couple ? Comment résister à  l’usure de l’ordinaire et au temps qui passe ? Et si on fait comme si rien n’avait changé, n’est-ce pas encore plus terrifiant ? Et après ? y a t-il encore du désir, de l’envie ?

Magali Van Reeth

Ida

de Pawel Pawlikowski

Pologne/Danemark, 2013, 1h20

Sortie en France le 12 février 2014.

avec Agata Kulesza et Agata Trezbuchwoska

Une jeune femme, à  la veille de prononcer ses vœux, découvre l’histoire de sa famille et de son pays. Un film où l’esthétique épurée permet de tenir le drame à  distance.

Pologne, 1962. Ida a grandi dans un orphelinat puis dans un couvent. C’est une très jeune femme et, avant de prononcer ses vœux définitifs, la mère supérieure l’envoie rencontrer sa tante Wanda. C’est la seule famille qui lui reste. Mais Wanda est une femme fantasque, peu soucieuse des conventions, qui cache son chagrin dans l’alcool. Elle bouscule Ida mais l’accompagne dans ses recherches et lui permet finalement de choisir pleinement sa vie.301358_48bd0e77fee991029e93699f90a9b850.jpg

Après deux films assez intrigants, My Summer of Love (2004) et La Femme du Vème (2011), le réalisateur trouve une forme épurée pour évoquer des sujets sensibles. Il y a bien sûr l’itinéraire d’Ida, dont on voit tout de suite la fragilité de sa jeunesse face à  l’exigence d’une vie religieuse mais Pawel Pawlikowski ne veut pas seulement filmer son trouble au moment de s’engager. Il ne veut pas oublier l’histoire de son pays pendant la Deuxième guerre mondiale, lorsque les juifs polonais ont été massacré par leurs compatriotes : « l’Église catholique était le socle de l’identité nationale polonaise. Et cela s’est encore renforcé durant la période communiste. Historiquement, c’était compréhensible, mais d’un autre coté, cela a limité, voire déformé la foi chrétienne chez les Polonais, en lui donnant un aspect tribal et exclusif, en oubliant ce qui est transcendantal et universel dans le christianisme. A travers le personnage d’Ida, je voulais explorer cette question-là . »301358_9c287793a6368e67133b46c8aa4e44c2.jpg

Filmé en noir et blanc, dans un format carré qui resserre le cadre et élimine le spectaculaire, le film est très esthétique. La jeunesse et la beauté presque enfantine d’Ida s’en trouvent rehaussées, alors qu’on a l’impression d’être au plus près de son intimité. Lorsqu’elle ôte enfin son voile, nous sommes presque gênés de la surprendre ainsi. Pawel Pawlikowski suggère beaucoup et montre peu, comme dans la scène de la forêt où Ida trouve la preuve matérielle de l’existence de ses parents. En faisant le vide dans le cadre, il donne corps au silence. Silence de l’Histoire et silence d’une foi qui doute. L’émotion, comme la mort, est discrète. Elle n’en est pas moins réelle et troublante pour ceux qui la ressentent.

Agata Kulesza (Ida) et Agata Trezbuchwoska (Wanda) donennt une très belle interprétation de leur personnage. A la limpidité d’Ida, qui n’a même pas conscience du trouble qu’elle provoque chez les autres, s’oppose la complexité de Wanda, élégante, frondeuse et déterminée qui va peu à  peu laisser échapper les fissures du passé, jusqu’à  se briser vraiment.301358_efe789f422add18cfe1d2367ecc9b81d.jpg

Et après ? demande Ida au séduisant jeune homme qui vient de lui faire découvrir le jazz et qui n’aime pas les serments. Et après ? un mariage, un chien, des enfants Ida sait alors qu’elle est prête pour une autre vie.

Magali Van Reeth

SIGNIS

Le Vent se lève

de Hayao Miyazaki

Japon, 2013, 1h30

Mostra de Venise 2013, compétition officielle.

Sortie en France le 22 janvier 2014.

film d’animation pour adolescents et adultes

Enraciné dans la réalité avec le personnage de Jiro Horikoschi et la période tourmentée de l’histoire qu’il traverse, ce film réussit la gageure d’être fidèle à  la tradition de lyrisme délicat du grand maître du dessin animé japonais.

La nuit, le petit Jiro rêve d’avions et le jour, il dévore les livres qui racontent l’épopée des premiers grands concepteurs, Giovanni Caproni en tête. Sa myopie l’empêchant de piloter, l’avenir s’ouvre à  lui comme ingénieur. Travailleur infatigable, il accède rapidement à  un poste important dans l’industrie aéronautique japonaise naissante (où des couples de bœufs tirent les avions jusqu’au terrain !). Ses chefs l’envoient donc en Allemagne pour progresser plus vite.273764_9359df7fadcd2561c600c4f2108c7648.jpg

Le jour du tremblement de terre de Tokyo en 1923, il vient au secours d’une jeune fille et de sa mère. Quelques années plus tard, il retrouve par hasard Nahoko à  la montagne où elle soigne sa tuberculose. Dès lors sa vie professionnelle se double d’une vie sentimentale.273764_7d46c9056cbb5b4c9de86b9684fdcd07.jpg

« Le vent se lève, il faut tenter de vivre », le final du Cimetière Marin de Paul Valéry qui donne son titre au film fournit la double clef de cette belle histoire : cité en français (!!) par Caproni, il est la métaphore poétique de l’aventure aérienne. Repris par la jeune Nahoko, il devient l’injonction courageuse qui signe la générosité de la jeune femme ainsi que la profondeur de son amour pour Jiro. Les derniers mots qu’elle lui adresse avant de mourir y font directement écho : « vis ta vie ».

Car l’engagement de Jiro dans son métier-passion est total et sa réussite ne s’encombre pas de scrupules : inventeur du chasseur bombardier Zéro que les kamikazes ont rendu tristement célèbre, il ne s’interroge jamais sur l’utilisation mortifère de son génie.273764_37403697c01f8470d7c8dfc03aa09731.jpg

Enraciné dans la réalité avec ce personnage de Jiro Horikoschi et la période tourmentée de l’histoire qu’il traverse (tremblement de terre, grande dépression, guerre aux côtés de l’Allemagne nazie), ce film réussit la gageure d’être fidèle à  la tradition de lyrisme délicat du grand maître du dessin animé japonais. Les paysages, paisible campagne ou majestueuse montagne (explicitement référée à  La montagne magique de Thomas Mann), génèrent une douceur qui équilibre les scènes impressionnantes de séisme et de destruction d’avions. La musique due à  Joe Hisaïchi ajoute au charme de ce film-testament, Miyazaki ayant annoncé son intention d’arrêter là  sa carrière. Enfin « Le vent souffle où il veut » : puisse-t-il inspirer au maître encore quelque chef d’œuvre !

Michèle Debidour

SIGNIS

Viva la liberta

de Roberto Ando

Italie, 2013, 1h34

Sortie en France le 5 février 2014.

avec Toni Servilio et Valeria Bruni Tedeschi.

Le thème du kagemusha n’est pas nouveau au cinéma mais le réalisateur le met ici à  la sauce italienne, savoureuse parce que s’appuyant sur un Toni Servilio au talent époustouflant.

Enrico Oliveri (Toni Servilio) leader de l’opposition, est déprimé : les sondages sont mauvais et les élections proches se présentent mal pour lui. Il disparaît alors sans laisser d’adresse, plongeant son entourage dans l’embarras. C’est son épouse qui trouve la solution : faire appel à  son frère jumeau, philosophe de son état affligé d’une maladie bipolaire.

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Giovanni (aussi Toni Servilio) relève brillamment le défi et, en quelques jours, devient très populaire : orateur habile, il s’appuie sur sa culture philosophique pour développer une fantaisie utopiste qui ne manque pas de séduire son public. Surtout il est aussi enjoué que son jumeau était sérieux et réenchante la relation à  son électorat.

Adaptant son propre roman « Le trône vide », Robert Ando nous propose une comédie politique réjouissante. Le thème du kagemusha n’est pas nouveau au cinéma mais le réalisateur le met ici à  la sauce italienne, savoureuse parce que s’appuyant sur un Toni Servilio au talent époustouflant. Sacré meilleur acteur européen pour La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino, l’acteur incarne ici chacun des deux frères avec brio.

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Cette pochade n’a pas l’ambition d’une fable politique et son charme tient à  la légèreté du propos. Pas de satire de la part de cet original qui ne ridiculise pas la fonction politique mais démontre tout au plus qu’elle a besoin d’humour et d’idéal. L’intrigue s’essouffle un peu avec la parenthèse parisienne où Enrico retrouve un amour de jeunesse (Valeria Bruni Tedeschi). Mais le spectateur gardera en mémoire quelques scènes rafraîchissantes comme la rencontre du député avec la chancelière qui se transforme en élégante scène de danse.

Michèle Debidour

Signis

Des étoiles

de Dyana Gaye

Sénégal/France, 2013, 1h28

Grand prix du jury et prix du public au Festival Premiers Plans d’Angers 2014

Sortie en France le 29 janvier 2014.

avec Ralph Amoussou, Marème Demba Ly, Souleymane Seye N’diaye

A l’heure de la mondialisation, l’envie d’ailleurs est partagée par de nombreux jeunes gens de tous pays, et cet exil auquel il aspire peut être une vraie chance.

Pour son premier long-métrage, Dyana Gaye, jeune réalisatrice aux origines multiples entre Afrique et Europe, a choisi de traiter l’exil d’une façon nouvelle par rapport aux nombreux films parus autour du même sujet. Ici, l’exil est montré comme mouvement international, librement choisi, avec ses moments de joie et de désespoir, comme dans toute vie, mais dans un élan qui permet de changer son destin, d’aller à  l’encontre d’autres cultures, d’autres façons de faire.

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Le titre même du film fait référence à  la « constellation de l’exil », reliant les individus dans un grand dessein/dessin qui dépasse les individus. La réalisatrice met en mouvement trois personnages : Sophie, jeune sénégalaise, part en Italie pour rejoindre son mari dont elle n’a plus de nouvelle depuis quelques temps ; Thierno, 19 ans, né et élevé aux États-Unis, arrive au Sénégal pour assister à  l’enterrement de son père, dont il n’a aucun souvenir ; et Abdoulaye, le mari de Sophie, arrive aux États-Unis pour, après l’Italie et la France, essayer de gagner encore plus d’argent. Tous les trois viennent de milieux aisés. Ni la misère ni l’engagement politique ou religieux, ne sont à  l’origine de leur mise en route. Il y a surtout l’envie de briser la ligne droite et immuable que d’autres ont tracé pour eux.

Des étoiles se déroulent donc dans trois lieux, trois villes très différentes. Dakar, l’Africaine par excellence, celle de l’île de Gorée d’où sont partis de nombreux esclaves, le siège de la colonisation française, la ville des touristes. Turin, ville industrielle du Nord de l’Italie qui a longtemps attiré les migrants nationaux. Et New York, le nouveau monde par excellence. Les langues se mélangent avec naturel, wolof, français, anglais ou italien. Dans cet univers cosmopolite, chacun passe d’une langue à  l’autre sans que cela pose un problème autre qu’éphémère.

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La réalisatrice croise sans pesanteur ces trois destins, les ambiances de ces villes si différentes mais tout aussi séduisantes, et les moments de détresse et de joie de chacun. Remarquablement interprété par Ralph Amoussou, Marème Demba Ly et Souleymane Seye N’diaye, Des étoiles nous fait partager ce souffle du grand voyage, celui qui nous fait tutoyer les constellations, en nous faisant sentir que nous participons tous du même mouvement. Si Dyana Gaye ne fait pas de l’exil un drame, c’est parce qu’au-delà  de la solitude, du désespoir ou du chagrin qu’on retrouve dans toute vie, il est aussi libération d’une tradition parfois pesante, l’arrivée d’un réel changement. Comme le personnage de Sophie et celui de sa tante le montrent.

Magali Van Reeth

Signis

Minuscule, la vallée des fourmis perdues

de Thomas Szabo et Hélène Giraud

France, 2013, 1h29

Sortie en France le 29 janvier 2014.

film d’animation, pour enfants à  partir de 5 ans.

Un superbe film d’animation, avec des insectes pour personnages principaux et des péripéties rocambolesques dans le foisonnement végétal de la campagne.

Tout a commencé en 2006 à  la télévision française, avec une série d’animation, au format très court, d’excellente qualité, mettant en scène les insectes ordinaires de la campagne et de la forêt. Coccinelles, mouches, araignées, fourmis ou chenilles : rien d’exotique ni d’extraordinaire, juste une belle réalisation qui compte maintenant 150 épisodes et a fait le tour du monde (70 pays).

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Pour ce long métrage, Thomas Szabo et Hélène Giraud ont repris leurs personnages principaux, pratiquement tels quels, et leur font vivre une aventure palpitante. Le principe est aussi le même, aucun dialogue parlé, pas de voix off. Une superbe bande son accompagne les déplacements de ces êtres minuscules, dramatise les situations les plus banales et saupoudre l’humour comme un délicieux pollen. Une coccinelle, à  peine née, perd sa famille biologique et l’usage de ses ailes. Elle se lie d’amitié avec une fourmi noire, chargée de rapporter à  la maison une boîte de sucre. Le voyage sera épique et les dangers innombrables. Le lézard vert, les mouches et surtout les fourmis rouges vont pourchasser le groupe et le précieux sucre. Tout finit par une bataille dans les règles de l’art (encerclement, assaut, siège, munitions, explosions, incendie) qui laisse les adversaires épuisés mais célèbre le courage et l’audace de la coccinelle.

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Si les décors sont réalistes et offrent de magnifiques paysages de montagnes, où on peut distinguer le noisetier du mélèze, les insectes viennent du monde de l’animation et leurs us et coutumes sont des plus fantaisistes. Minuscule mélange le documentaire naturaliste avec une joyeuse idée de la fiction, les vraies plantes avec de l’animation colorée et dynamique, pour un récit palpitant et rocambolesque. Les fourmis sifflent, les mouches font de la course de côte et les araignées encadrent leurs toiles. On n’est pas là  pour faire des sciences naturelles mais pour vivre un moment merveilleux, dans le foisonnement du monde d’en bas, où les êtres sont minuscules. Le récit se déroule sur un rythme trépidant et on apprécie les pauses qui le rythment, de longs plans fixes pour profiter du crépuscule sur les montagnes, ou pour sentir les vibrations d’une prairie au soleil.

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Un léger regret : que ce long-métrage évacue toute idée de mort, même après la féroce bataille entre les fourmis rouges et les fournis noires. Malgré l’insecticide, les fusées, les explosions et la destruction de la fourmilière, les combattants finissent dévastés mais on ne verra aucun cadavre à  l’écran Dommage que dans ce film qui prend tous les spectateurs « pour des grands », on ignore hypocritement que les animaux se mangent entre eux et que les guerres sont meurtrières. C’est pourtant un excellent film d’animation, tout public et pour enfants à  partir de 5 ans (certaines scènes, où la tension est très bien rendue, peuvent impressionner les plus jeunes).

Magali Van Reeth

Signis