Les Héritiers

de Marie Castille Mention Schaar avec Ariane Ascaride et Ahmed Drame.
(2014 1h45).

Chroniques cinéma de Marie-Noëlle Gougeon

Le film Les Héritiers est tiré d’une histoire vraie proposée par un des anciens élèves de cette classe de seconde du lycée Léon Blum de Créteil et devenu aujourd’hui scénariste et comédien.

En classe de seconde, il a eu le bonheur d’avoir pour professeur d’histoire géographie, et animatrice de l’option Histoire des Arts qu’il suivait, une femme passionnée et qui jamais ne baissait les bras.

Pourtant, Mme Gueguen aurait eu des raisons de désespérer : une classe turbulente, violente parfois où personne ne s’écoutait ; une trentaine d’élèves aux origines diverses, aux parcours chaotiques, aux notes désastreuses, aux parents absents ou défaitistes, catalogués en conseil de classe.

Cette femme d’une quarantaine d’années va proposer à  ces gamins de banlieue un défi étonnant : participer au Concours national de la Résistance et de la Déportation en travaillant et rédigeant un livre sur le sujet « Les enfants et les adolescents juifs dans le système concentrationnaire nazi ».

D’abord réticents (on y arrivera jamais !), les élèves se prennent au jeu car leur professeur croit en eux, plus qu’ils ne croient en eux-mêmes d’ailleurs !

Le projet prend forme entre recherches documentaires, visites au Mémorial juif à  Paris et surtout les jeunes élèves reçoivent le témoignage d’un rescapé des camps, Léon Zyguel, qui les marque profondément et fait prendre à  leur démarche une dimension humaniste et citoyenne.

Ils gagneront finalement le 1er Prix du Concours qu’ils recevront à  l’Ecole Militaire, à  Paris, étonnés et surpris de leur propre succès, eux qu’on disait perdus pour une réussite scolaire.
Finalement les 2/3 obtiendront une mention au baccalauréat et Mme Guéguen reprendra à  la rentrée une autre seconde, toute aussi motivée.

Ce film dégage une vraie et belle espérance. On peut se dire qu’il est utopique ; certes toutes les classes ne peuvent mener à  bien et réussir un tel projet. Et pourtant, « Les héritiers » montre que des professeurs qui savent dépasser les lignes toutes tracées du programme et croire dans les potentialités de leurs élèves obtiennent des résultats au-delà  de ce qu’ils avaient imaginé.

De la même manière quand des gamins épaulés et emmenés par des adultes confiants et qui portent sur eux un regard dépourvu de parti pris dépassent leurs peurs et leurs échecs, ils réussissent eux aussi à  découvrir en eux des richesses insoupçonnées.

Le film alterne intelligemment les scènes de bronca et des moments de réflexions. On sent peu à  peu la violence s’estomper, et faire place à  la construction d’un livre écrit à  trente mains.où les mots remplacent les cris.

Ariane Ascaride est toujours juste, ferme et bienveillante à  la fois. Lumineuse.

Les jeunes se socialisent et s’humanisent sous nos yeux. Ils nous parlent de leurs angoisses, de leur jeunesse, de leurs espoirs.

Finalement ce film nous dit que rien n’est jamais perdu, si on rencontre un adulte aimant sur son chemin.

Qu’Allah bénisse la France

d’Abd Al Malik avec Marc Zinga Sabrina Ouazani
(France 2014 1h36).

Chroniques cinéma de Marie-Noëlle Gougeon

Abd Al Malik est un jeune rappeur d’origine congolaise, âgé aujourd’hui de 38 ans, lauréat des Victoires de la musique et qui a grandi au Neuhof, cette banlieue de Strasbourg souvent la proie de feux de voitures la nuit du Nouvel AnElevé seul avec ses deux frères par sa mère catholique, il s’appelait alors Régis. Surdoué, il intègre une classe préparatoire, fait des études de philosophie tout en montant en même temps un groupe de rap. Il se tourne un temps vers l’islam radical, côtoie les dealers de sa cité, flirte avec la drogue, voit ses amis mourir.. Il change alors de nom, devient Abd Al Malik.
Mais son goût pour la réflexion, la poésie, les textes littéraires vont l’entraîner à  approfondir les fondements de l’islam, étudier le soufisme au Maroc et devenir celui qu’il est aujourd’hui : un être profondément ouvert, tolérant et profond qui ne renie en rien ses origines, se sent bien en France : mon pays, dit-il, au point de lui faire cette déclaration : « Qu’Allah bénisse la France »
C’était le titre du livre qu’il a écrit en 2004 et qui raconte son histoire. Aujourd’hui sort le film qu’il réalise et dans lequel il a confié à  Marc Zinga son propre rôle.

Autant «Timbuktu » pouvait être ressenti comme un film montrant l’impuissance face au djihadisme autant celui-ci est plein d’espoir.
C’est en noir et blanc qu’ Abd Al Malik a voulu tourner en référence à  La Haine, ce film de Mathieu Kassowitz qui l’avait marqué et en référence aux films néo-réalistes italiens : Rocco et ses frères etc

C’est une vision de l’intérieur de la vie de cette cité qu’il connaît bien que nous donne le chanteur faite de violences, de galères et de débrouilles pas toujours légales et dont il est parfois complice. Mais c’est surtout la « conversion » intérieure de ce jeune homme qui nous est montrée : de l’islam radical, il évolue grâce à  l’amour d’une jeune fille de la cité, au soutien et à  la confiance de sa professeur de philosophie vers un approfondissement de sa foi, une étude des textes coraniques, jusqu’à  aller passer quelques mois au Maroc s’imprégner de la spiritualité du soufisme.

Les images en noir et blanc accentuent le côté sombre de l’histoire et en même temps lui donnent une dimension exigeante et réaliste. Ces jeunes des cités ont une culture, une musique, une vie collective qui leur est propre. Il faut parfois s’accrocher pour comprendre ce parler des ados mâtiné de langage verlan et d’accent strasbourgeois ! Mais regarder ce film nous montre la complexité de leur situation et l’abîme qui les sépare de la société organisée

Abd Al Malik n’oublie pas ses copains morts de mort violente : un lent défilé des visages de tous ces disparus ponctue l’enterrement de Rachid, un de ses amis abattu par un caïd..Il aurait pu être à  sa place.

Oui, mais voilà , il a fait le pari de la vie, comme lui fera remarquer son professeur de philosophie, il a fait celui de chanter, d’écrire. Et par ce film de témoigner et de rendre grâce pour son pays : « Qu’Allah bénisse la France » . Pari émouvant et réussi.

La belle jeunesse

de Jaime Rosales avec Ingrid Garcia-Jonsson et Carlos Rodrigues
(2014 Espagnol, 1h43).

Cannes 2014 : Jury Œcuménique, Mention spéciale.

Film sorti en salles le 10 Décembre.

Chroniques cinéma – de Marie-Noëlle Gougeon

Si le film « Les Héritiers » témoignait d’un possible espoir pour la jeunesse d’un lycée de banlieue parisienne, l’avenir de la jeunesse d’une banlieue madrilène apparaît bien sombre.

Le titre est pourtant juste car ces jeunes d’une vingtaine d’années n’aspirent qu’à  trouver du travail, un logement et commencer leur vie d’adultes d’une manière autonome.

Natalia et Carlos s’aiment, un bébé s’annonce et la jeune femme fait le choix de le garder. Ils vont aller vivre chez le garçon mais pas facile avec une mère malade.

Alors, le jeune couple cherche à  trouver de l’argent facilement, jusqu’à  tourner dans un film pornographique. Expérience qui restera unique pour le couple mais pas pour Natalia

C’est la galère de cette jeunesse espagnole étranglée par une vie sans grand espoir: pas de travail, pas d’argent. On survit en se serrant les coudes, avec les copains qui eux aussi désespèrent. Reste les rêves : « Je te construirais une maison », les jeux vidéo, les messages sur les réseaux sociaux jusqu’au départ de Natalia pour l’Allemagne un pays qui embauche. Oui, mais pour quel travail ? La chute du film tombe comme un couperet

Jaime Rosalès a su par la qualité de ses interprètes, son talent de réalisateur nous restituer à  la manière d’un entomologiste la réalité de la vie de cette jeunesse perdue de Madrid. Il y a une grande qualité dans les cadrages qui scrutent la densité dramatique d’une situation, les non-dits, les souffrances, et les coups de tendresse de ces touts jeunes adultes.

Une des plus belles trouvailles de Jaime Rosales est d’avoir inscrit dans son film des séquences sans musique où le monde 2.0 occupe l’espace avec les écrans des consoles de jeux, les conversations entre amis sur Facebook, les photos que l’on poste sur Instagram.

Subitement c’est l’irruption dans la noirceur de la vie quotidienne de tout l’humour désespéré de cette « Belle jeunesse » mais aussi l’amitié, l’envie d’autre chose, le rêve

De l’autre côté des Pyrénées, la jeunesse espagnole se bat avec énergie pour survivre à  défaut de vivre, prenant le chemin de l’exil s’il le faut, s’arrachant au pays, comme le firent leurs grands-parents après la guerre civile. Triste rappel de l’histoire

The Search

Chroniques cinéma de Marie-Noëlle Gougeon

Semaine du 26 Novembre au 3 décembre

Film de Michel Hazanavicius avec Bérénice Béjo, Annette Bening, Abdul Khalim Mamatsulev (2014 2h14).

Le film se déroule pendant la seconde guerre de Tchétchénie en 1999. Il fait se croiser le destin de quatre personnages. Carole, déléguée de l’Union Européenne en mission pour la commission des Droits de l’homme. Kolia, jeune soldat russe enrôlé dans l’armée. Hadji, petit garçon recueilli par la jeune femme alors qu’il vient de perdre ses parents assassinés par des soldats russes et qu’il s’est enfui de la maison. Enfin, Raissa sa grande sœur rescapée du massacre familial avec son plus jeune frère (un bébé) parti à  sa recherche.

Le conflit tchétchène a été oublié des médias et difficilement couvert. Les ONG n’ont pourtant pas manqué de rédiger des rapports, de tenter d’alarmer le Parlement Européen, l’ONU sur les exactions de l’armée russe et la compromission du pouvoir tchéchène. En vain..

Michel Hazanavicius souhaitait par ce film rappeler ce conflit entre Moscou et la Tchétchénie, évoquer le sort de milliers d’habitants terrorisés, affamés, déplacés.
Si le propos est louable et est en partie honoré car il permet de se replonger et d’essayer de comprendre les enjeux de cette guerre, on ne peut pas dire que le film nous y aide vraiment.
« The Search » suit en montage parallèle l’histoire de Kolia, le jeune soldat russe dans de longues séquences de brimades autant violentes que gratuites, éprouvantes à  suivre. Et en même temps le périple de Hadji, le jeune garçon rendu muet par le choc de la mort de ses parents, recueilli par Carole et sa lente remontée vers une vie plus humaine.
C’est un défilé de séquences certes représentant bien la réalité d’alors, mais inopérant sur la compréhension des causes du conflit, l’apathie des gouvernements, le quasi silence des médias et la réalité aujourd’hui de la Tchétchénie.

Michel Hazanavicius n’ pas su choisir un vrai et beau sujet. L’histoire du garçonnet à  la recherche de sa sœur, magnifiquement interprété par un jeune tchétchène aurait amplement suffi à  montrer les ravages d’une guerre, et la lente résilience opérée par l’enfant.
Le spectateur est balloté entre plusieurs sujets, plusieurs lieux, plusieurs histoires sans avoir le temps de saisir les propos du réalisateur, de comprendre le sens qu’il veut donner à  tout çà .
Il reste des personnages perdus au milieu de centaines de figurants, de paysages désolés, de violences de guerre. Cela ne fait pas un film !

A la vie

Chroniques cinéma de Marie-Noëlle Gougeon

Semaine du 26 Novembre au 3 décembre

«A la Vie » de Jean-Claude Zilbermann avec Julie Depardieu, Suzanne Clément, Johanna ter Steege.
( 2014 1h44).

Jean-Claude Zilbermann avait déjà  réalisé un documentaire « Irène et ses sœurs » autour de la vie de sa mère, déportée à  Auschwitz qui avait retrouvé deux amies rescapées comme elle.

Chaque année depuis 1962 et jusqu’à  la fin de leur vie, elles se sont retrouvées à  Berck-Plage, quelques jours par an, aux vacances d’été.
C’est de cette « réalité » et des souvenirs que les jeunes femmes se remémoraient que JC Zilbermann a bâti cette fiction A la vie.
On est dans les années 60 au soleil de la mer du Nord. Les femmes osent les premiers maillots deux- pièces, la musique yé-yé commence à  envahir les ondes, sur la plage de gentils moniteurs accueillent les enfants au Club Mickey.

C’est dans cette ambiance rose bonbon et légère que Lili, Rose et Irène, plus ou moins bien mariées prennent quelques jours de liberté. Mais bien vite les souvenirs de la guerre brouillent leur apparente
complicité. Les unes veulent l’oublier, la troisième semble encore vivre enfermée, et que dire de la culpabilité qui les habite d’être encore en vie : pourquoi ont-elles survécu, elles, alors que plusieurs de leurs compagnes n’ont pas survécu dans cette Marche de la mort après la libération des camps ?

Les reproches et les disputes fusent.
Des regrets, des remords, la culpabilité d’être encore en vie alors que l’une d’entre elles y a perdu son enfant, qu’une autre n’a jamais voulu se marier pour ne plus jamais être enfermée et que Julie Depardieu-Irène, qui joue la mère du réalisateur subit une frustration matrimoniale et sexuelle depuis son mariage avec un ancien des camps victime d’une castration

Cette partie de leur vie est à  tout jamais en elles. Qu’elle la taise comme Rose, l’oublie comme Lili ou en parle comme Irène, elles ne peuvent se défaire d’y penser, de l’évoquer.

Mais rien de morbide dans leur propos et encore moins dans la façon dont JC Zilbermann a réalisé son film : le choix du temps des vacances, des retrouvailles entre amies, la musique de l’époque, colorent ces souvenirs d’un ton doux amer. Ces femmes se libèrent d’un poids trop lourd en goûtant ces petites choses de la vie : la mer, le sable, les glaces menthe à  l’eau. Sourire pour ne pas sombrer. S’octroyer quelques moments de liberté avec le jeune moniteur car on sait bien que la réalité reviendra bien vite.

Des trois actrices on retiendra surtout Julie Depardieu qui illumine le film de ses retenues, de ses sourires candides et ce chagrin que l’on sent toujours derrière les yeux bleus étonnés.
A la vie, à  la mort : un film grave et léger à  la fois.
L’une ne va jamais sans l’autre quand on a vécu l’enfer des camps

Sol’ en films

Dans le cadre de La semaine de la Solidarité Internationale qui se déroule du 25 Novembre au 2 Décembre, 20 salles de cinéma de Lyon et sa région se sont associées pour présenter une quinzaine de films autour du thème :
« Agriculture, alimentation, consommation : les vrais défis ».
Pour consulter tout le programme et les horaires des séances :

http://www.grac.asso.fr/admin/img/eve/3056.solenfilm.pdf

Parmi tous les films proposés nous avons choisi :

Sacrée Croissance de Marie-Monique Robin séance proposée et débat animé en lien avec le CCFD.
Le dogme de la croissance illimitée interrogé et des alternatives proposées.
Le jeudi 27 Novembre à  20H30 aux Alizées à  Bron.

Pierre Rahbi, au nom de la terre de Marie-Dominique Dhesling.
Le jeudi 27 Novembre à  20H au Cinéma Maison du Peuple à  Pierre-Bénite.

Le sel de la terre de Win Wenders et Julian Salgado : un hymne à  la beauté de la terre.
Le dimanche 30 Novembre à  18H au Ciné Les Aqueducs à  Dardilly.

Marie Heurtin

Le film Marie Heurtin est inspiré d’une histoire vraie. A la fin du XIXème siècle, Marie Heurtin naît sourde, aveugle et muette dans une famille pauvre. Ses parents ne voulant pas la mettre à  l’asile la confient à  l’institution de Larnay, près de Poitiers où des religieuses s’occupent de jeunes filles sourdes. Là , malgré l’opposition de la Mère Supérieure, une jeune sœur, Sœur Marguerite va se prendre d’amitié pour cette « sauvageonne » et vouloir l’apprivoiser, la sortir de son silence et inventer avec elle et pour elle un langage « tactile » où les objets seront associés à  un geste sur son corps (paume, visage, bras etc).

L’apprentissage ne va pas de soi car Marie est depuis longtemps dans un monde sans bruit, sans son, sans communication. Difficile, sans repère visuel d’utiliser le langage de signes déjà  connu. La cécité ajoute une difficulté.

Mais la persévérance, la conviction de Sœur Marguertite dans les capacités de réussite de son projet et la « foi » dans son élève avec qui elle entretient un lien fusionnel vont surmonter tous les obstacles.

Marie apprendra la langue des signes, l’alphabet braille et aidera à  son tour des jeunes filles arrivant dans l’institution. Tout ceci nous est dévoilé dans une note à  la fin du film.

Et c’est un peu le reproche que l’on peut faire à  ce film au demeurant plein de bonnes intentions et ouvrant un coin du voile sur le monde des sourds. Qui pourrait critiquer cette tâche ô combien passionnante que celle d’ouvrir une fillette laissée à  elle-même au monde de l’échange, de la rencontre, de la réflexion ?
C’est ce travail qu’a accompli Sr Marguerite donnant tout, à  la limite de ses forces.
Mais ce long compagnonnage, cette lente maturation, cette évolution de Marie sur une dizaine d’années nous est « montré » plus qu’il nous est expliqué, partagé. Pour qui a travaillé ou s’est intéressé à  la question du langage, on reste un peu sur sa faim.

Le blog Cinema – Chemin de Croix

Semaine du 1er au 7 Novembre

CHRONIQUES-CINEMA par Marie-Noëlle Gougeon

« Chemin de Croix » de Dietrich Brà¼ggemann, avec Lea Van Acken, Franziska Weisz.
(Film allemand, 2014). Ours d’argent et Prix Œcuménique au Festival de Berlin 2014.

Chemin de Croix ne se laisse pas facilement analyser. Il raconte l’histoire d’une jeune adolescente, Maria, élevée au sein d’une famille catholique allemande intégriste qui rejette la modernité, le contenu du Concile et veut faire des jeunes catéchisés, des « soldats de Dieu ». Maria, est très sensible et idéaliste. Elle souhaite suivre à  la lettre les préceptes que lui enseigne le prêtre mais aussi sa mère à  laquelle pourtant un conflit profond l’oppose.

Elle veut mourir pour que son petit frère, muet, parle et ainsi devenir une sainte.Seule une jeune fille au pair française, lui apporte un peu d’affection et lui assure que Dieu ne lui demande pas de tels sacrifices. Pourtant, Maria ira au bout de sa démarche, au bout de ses actes sans que sa mère ne veuille voir dans quelle folie ses principes éducatifs et religieux ont entraîné sa fille. Ce n’est qu’après la mort de l’adolescente, que ses yeux « s’ouvriront ». Le petit frère se mettra à  parler, mais Maria, se sera tue à  jamais.

Chemin de Croix est un film éprouvant. Le réalisateur a pourtant une grande maîtrise cinématographique. Il a découpé son film en 14 plans fixes à  l’image des 14 stations du chemin de Croix. Chaque tableau est d’une grande beauté formelle : les couleurs, la place des acteurs, tout est magnifiquement cadré, et oblige le spectateur à  mobiliser son attention sur l’histoire, les dialogues, la tension du film. C’est à  lui de guider son propre regard.

Et pourtant on reste partagé face cette austérité formelle et au contenu de l’histoire. On pense évidemment au film de Mikael Haneke « Rubanc Blanc » qui dénonçait l’éducation rigoriste d’un pasteur allemand dans les années trente. On pense également au livre d’Alice Miller « La pédagogie noire » qui évoquait la toxicité et la violence de certains préceptes éducatifs.

Dietrich Brà¼ggemann a lui-même vécu dans une famille qui partageait les idées de ces Fraternités intégristes. Son film sonne juste et il n’a jamais de regard ironique ou violent à  l’égard de ces personnages. Maria, admirablement jouée par Léa Van Acken, apparaît comme un petit oiseau perdu, à  la trop grande sensibilité, au manque criant d’amour de la part de sa mère. Cependant c’est dans sa foi que cette femme puise les préceptes de l’éducation qu’elle donne à  ses enfants. Et l’interprétation qu’elle en fait conduit Maria à  choisir la mort. Comment ne pas regretter alors ce dévoiement du message évangélique, pourtant porteur d’Amour pour tous et bien absent du film. Sauf par l’ami de Maria, Christian, dont l’image clôt le film. Il est le seul à  être près d’elle, près de son tombeau, quand on la met en terre. Comme Marie au pied du Golgotha.

Chemins de Croix nous oblige à  un questionnement sur notre foi, ses fondements, sa vitalité, les dérives de certains courantsIl ne laisse pas indifférent, ni insensible.

Le blog Cinema

de Marie-Noëlle Gougeon

BANDE DE FILLES

de Céline Sciamma (2014 1H52).


Avec Karidja Touré, Assa Sylla, Lindsay Karamoh, Marietou Touré.

Pas facile d’être une fille quand on habite dans les cités des banlieues. Des films avaient déjà  montré la réalité complexe des jeunes « beurettes », prises entre leur vie au collège intégrative et celle plus restrictive de la cité placée parfois sous la « coupe » du grand frère
On retrouve dans « Bande de filles » ces difficultés mais accentuées encore car les jeunes filles du film appartiennent à  la communauté noire : celle venue du Zaïre, du Sénégal, du Nigéria etc..
Comment alors trouver son identité ? Marieme, l’héroïne du film, se voit refuser d’aller en seconde générale, elle s’occupe de ses jeunes sœurs et est souvent corrigée par un grand frère accro aux jeux vidéo. Leur mère fait des ménages tard le soir, tôt le matin.
Alors seul havre de paix et d’affection, la bande justement : celle d’autres filles comme elle, qui cherchent à  se construire avec une énergie féroce une vie à  la mesure de leurs désirs.

Mais à  quoi s’identifier dans ces cités où c’est la loi du plus fort qui prime ? Les jeunes filles sont coincées entre des barres d’immeubles trop hautes, des coursives peu sûres, les bandes de garçons qui leur imposent leur façon de vivre. Et c’est justement vers tous ces codes du monde masculin qu’elles vont se tourner pour s’affirmer : le foot, les joggings et les sweats à  capuches (jusqu’à  se bander les seins pour ne pas monter leur féminité).
Il faut cogner pour montrer sa supériorité croient-elles, affronter la chef d’une autre bande de filles pour asseoir son territoire, dealer pour se faire accepter, changer de prénom pour faire croire qu’on sera mieux acceptée, se teindre en blonde pour intégrer le monde des « blancs »..C’est à  une course sans espoir que ces filles sont contraintes.
Les seules échappées sont celles où les jeunes filles loin de la cité, s’expriment, chantent à  tue-tête, comme sous la Grande Arche de la Défense, leurs longues jambes moulées dans des shorts rutilants. La plus belle séquence du film.
Après avoir quitté sa famille et essayé toutes les solutions possibles pour sortir de ses difficultés, Mairieme, tente de revenir chez elle. Devant la porte de son immeuble, elle hésite. On laisse le spectateur choisir la fin de l’histoire.

Bande de filles est un film physique, où l’énergie et l’envie d’exister de ces jeunes ados crèvent l’écran : elles parlent fort, s’apostrophent avec violence et humour. Le lien qui les unit est à  la fois solide et si fragile. Les jeunes filles, toutes actrices non professionnelles, jouent quasiment leur propre rôle et sont épatantes…

Pas sûr pourtant que Bande de filles plaise à  tous et en particulier aux filles de ces cités.
Et pourtant il se dégage de ce film une vitalité si grande qu’il nous prend au collet dès la première séquence, (un match de foot américain joué par les filles !) qu’il ne nous lâche plus, nous obligeant à  regarder cette réalité des filles blacks de nos cités, faite de bleus à  l’âme et au corps…. Une sacrée interrogation.