Chroniques cinéma – PHOENIX

de Christian Petzold

avec Nina Hoss et Ronald Zehrfeld (Film allemand 1h38).

Chroniques cinéma par Marie-Noëlle Gougeon

Nelly Lenz, juive allemande, vient d’être libérée d’un camp d’extermination. Lourdement blessée au visage, un chirurgien lui remodèle un faciès « autre que le vôtre » lui conseille-t-il. Là  voilà  dotée de nouveaux traits, mais encore bleuie par les suites de l’opération. Elle retrouve la ville de Berlin en ruines, si ce n’est quelques quartiers comme ceux des cabarets où s’amusent des soldats américains. C’est là  qu’elle retrouve son mari, Johnny, ancien pianiste reconnu, qui fait maintenant office d’homme à  tout faire. Le cabaret où il travaille s’appelle Phoenix.

En la voyant, Johnny ne la reconnaît pas mais ébranlé par la ressemblance, il établit un plan machiavélique : que Nelly se fasse passer pour sa femme, qu’il croit morte comme toute sa famille. Ainsi elle héritera et lui aussi de la moitié de la fortune de ses parentsNelly accepte car d’abord elle l’aime, ensuite, elle veut mesurer l’attachement qu’il lui a réellement gardé puisqu’une de ses amies lui a avoué qu’il avait divorcé deux jours après son arrestation : il l’a donc trahie !

Un drôle de jeu se met en place alors. Johnny-Pygmalion façonne Nelly à  l’image de celle dont il a gardé le souvenir et dont on ne verra jamais le portrait d’avant guerre qui restera un fantasme, un souvenir.
Nelly joue le jeu, un jeu redoutable car elle est la « vraie » Nelly et en même temps otage du plan de son mari.

A quel moment et comment la vérité éclatera ?

Christain Petzold
compose un vrai thriller psychologique cernant ces personnages dans des huis-clos sombres et angoissants. Les décors sont minimalistes, dépouillés ou enchâssés dans une nuit éclairée de lumières froides

On sent encore le goût de cendres de la guerre, les soupçons sur chaque voisin (était-il nazi ?), l’impossible retour de ceux qui rentrent des camps, et leur témoignage qu’on ne veut pas entendre. Petit à  petit, Johnny impose à  Nelly de porter les habits de son épouse, (une robe rouge qui symbolise à  la fois la vie qui revient mais aussi le rouge du sang des victimes). Il lui commande de se coiffer, de se maquiller, d’écrire comme elle.

Mais qui donne la vérité d’un être : son aspect physique, sa démarche, son écriture ? Johnny se trompe..

Nelly lui obéit mais lui échappe en même temps, ou plutôt elle construit en elle-même sa résistance à  ce plan pervers, elle sait jusqu’où elle ira.

La dernière séquence du film se déroule dans une gare avec la rencontre de la famille de Johnny donc son « ancienne belle-famille ». Johnny croit avoir réalisé son plan. La séquence est un pur moment de cinéma

Nelly dit enfin sa vérité en dévoilant son numéro de prisonnière tatoué sur le bras et en chantant d’une façon déchirante Speak low, pour montrer son amour, une chanson sur une musique de Kurt Weill, qu’elle chantait avant la guerre avec son mari. Elle va faire tomber les masques, et pétrifier Johnny. Il découvre tout d’un coup la réalité: Nelly était réellement sa femme. Mais c’est trop tard L’image se brouille Sublime dernier plan..

Nina Hoss habite littéralement le rôle de Nelly et elle est formidablement émouvante.

Ronald Zehrfeld mêle avec brio la perversion du personnage et la séduction de l’ancien mari.

A l’heure du 70 ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, Christaian Petzold nous offre avec Phoenix un film grave, brillamment réalisé et à  l’honneur du cinéma allemand.

Chroniques Cinéma – Une merveilleuse histoire du temps

de James March

avec Eddie Redmayne et Felicity Jones
(Film Britannique 2h03).

Chroniques Cinéma de Marie-Noëlle Gougeon

C’est l’un des plus grands astrophysiciens du XXème siècle. Stephen Kawking est connu pour ses travaux sur les trous noirs et la cosmologie. Il a publié un ouvrage qui fit date dans les années 80, vendu à  1O millions d’exemplaires : « Une brève histoire du temps » dans lequel il proposait une explication sur le commencement du monde et le fameux big-bang. Il a occupé la chaire de Newton à  l’Université de Cambridge.

Si le film de James March s’intitule « Une merveilleuse histoire du temps », c’est qu’il raconte la vie de cet homme hors norme, vue à  travers le regard de celle qui fut son épouse pendant trente ans, sans qui sans doute il n’aurait pas été ce qu’il est devenu et qui a raconté leur histoire dans un livre.

Jane a connu Stephen sur les bancs de l’Université à  Cambridge en 1963. Quelques mois de relations avant qu’ils n’apprennent que Stephen est atteint d’une maladie neuro-dégénérative incurable, plus communément appelée Maladie de Charcot. Il ne lui reste, selon les médecins, plus que deux ans à  vivre. Contre toute attente, Jane reste à  ses côtés, mieux elle l’épouse, va le soutenir, le porter littéralement, s’effacer, oublier ses ambitions professionnelles pour se consacrer entièrement au soutien médical et psychologique de son mari bientôt en fauteuil roulant, puis trachéotomisé.

Et c’est le corps déformé, raidi, recroquevillé sur un fauteuil roulant, s’aidant d’un ordinateur à  commande vocale qu’il va continuer à  travailler et regarder grandir ses trois enfants

Il ne faut pas attendre de ce biopic des explications poussées sur la théorie du big-bang mais d’avoir choisi l’adaptation du livre de Jane Hawking ouvre toute une réflexion sur la part des femmes dans la réalisation professionnelle de leur mari, la façon dont un couple vit au quotidien avec le très lourd handicap d’un des conjoints. Et pose la redoutable question : jusqu’où se « sacrifier », s’oublier ?

Jane rencontrera un pasteur et les sentiments qui naissent entre eux seront écartés à  regrets.

Au bout de trente ans de mariage, Stephen et Jane se sépareront mais resteront amis. Lui se liera avec son orthophoniste ; elle, retrouvera le pasteur qu’elle épousera.

C’est un film très « british » qui nous est offert, tout en retenue, en couleurs pastels, en intérieurs cosy qui laisse entrevoir malgré tout les sentiments d’amour infini pour l’époux choisi, de passion non dite pour cet autre homme croisé, la peine pour la carrière que Jane a sacrifiée, l’immense courage de tous les deux pour surmonter les difficultés physiques et morales d’un tel handicap, d’exquises questions sur la vie, l’amour et Dieuposées souvent avec humour !

Eddie Redmayne est bluffant de vérité. Il campe avec humanité l’astrophysicien à  qui il ressemble tant, sans jamais en faire trop. Il EST Stephen Hawking. On gardera longtemps en mémoire son sourire quasi permanent, ses doux yeux bleus derrière ses lunettes. Il est nominé pour l’Oscar du meilleur comédien.

Le film est lui en lice pour l’Oscar du meilleur film.

Stephen Hawking vit toujours en Angleterre. Il a aujourd’hui 72 ans.

Festival Télérama – Léviathan

de Andrei Zvyagintsev

Au Comoedia

Tel 08 92 68 69 22

Vendredi 10h45 13h45 16h45 20H.

Du 21 au 27 janvier
, 16 films plébiscités par la rédaction et les lecteurs de Télérama seront projetés dans 12 salles de l’agglomération lyonnaise au prix de 3,50€ la place avec le Pass qui se trouve dans le N° de Télérama du 21 Janvier. (pour deux personnes).

Festival Télérama – The Grand Budapest Hotel

de Wes Anderson.

Au cinéma Les Alizées à  Bron

Vendredi à  21H

Samedi à  18H30

Luni à  14H

Mardi à  16H.

tel 04-78-41-05-55.

Du 21 au 27 janvier, 16 films plébiscités par la rédaction et les lecteurs de Télérama seront projetés dans 12 salles de l’agglomération lyonnaise au prix de 3,50€ la place avec le Pass qui se trouve dans le N° de Télérama du 21 Janvier. (pour deux personnes).

Festival Télérama – IDA

de Pawel Pawlikowski.

Ciné Jeanne Mourguet à  Ste Foy-lès-Lyon

Tel 04-78-59-01-46

Vendredi à  20H. Samedi à  14h30. Dimanche à  14h30 et 20H.

Du 21 au 27 janvier, 16 films plébiscités par la rédaction et les lecteurs de Télérama seront projetés dans 12 salles de l’agglomération lyonnaise au prix de 3,50€ la place avec le Pass qui se trouve dans le N° de Télérama du 21 Janvier. (pour deux personnes).

Chroniques cinéma – « Loin des hommes « 

de David Oelhoffen

avec Viggo Mortensen et Reda Kateb.
Français (1h41).

Prix Signis Festival de Venise en 2014.

Chroniques cinéma de Marie-Noëlle Gougeon

Novembre 1954 dans l’Est de l’Algérie sur le plateau des Aurès. Daru, est instituteur pour de jeunes arabes. La gendarmerie, débordée par les traques qu’elle doit mener contre les rebelles, lui demande de conduire Mohamed, (jeune berger accusé du meurtre de son cousin) à  la ville à  plusieurs jours de marche pour jugement.

D’abord réticent, Daru s’exécute. Une longue marche harassante, dans la montagne aride va conduite les deux hommes aux portes de la ville. Mais ce long périple va surtout les amener à  une confrontation à  la loi ancestrale (payer son crime ou être jugé) et aux nouveaux rapports de force qui commencent à  s’instaurer en cette année 54 entre les colons, l’armée française et les « rebelles ».

Le film est tiré d’une nouvelle d’Albert Camus mais David Oelhoffen en fait un long poème visuel et méditatif sur le sens de l’engagement, la loi des armes, les liens que tissent peu à  peu ces deux hommes. Un Western lent et émouvant qui peut se hisser au niveau d’un film de John Ford

Tout au long du chemin, leur route va croiser celles des rebelles (et Daru se verra acculer à  tuer) les colons et l’armée. Daru, ancien combattant de la 2ème Guerre mondiale ne peut supporter la violence d’un jeune lieutenant du contingent abattant deux rebelles déposant les armes… « On ne tire pas sur des soldats qui se rendent » lui dira-t-il..

Lui, fils d’émigré espagnol, découvre qu’il n’est plus accepté sur la terre qui les avait accueillis en 1936 : « Pour les français alors, on était des arabes ; maintenant pour les arabes, on est des français » !

Leur marche est harassante et bien rendue par des plans en diagonale accentuant leur effort. Face à  l’immensité minérale du massif des Aurès, les silhouettes des deux hommes se dessinent le soir, au soleil couchant, en ombres allongées. On sent l’âpre réalité du pays en proie à  une guerre fratricide. Le danger est présent à  chaque détour du chemin. Et ces craintes permanentes vont renforcer les liens des deux hommes au point que c’est le compagnonnage humain voire spirituel entre eux qui peu à  peu capte l’attention.

Les deux acteurs, Viggo Mortesten (Daru) et Reda Kateb (Mohamed) sont magnifiques d’intériorité.
Daru va peu à  peu amener Mohamed à  repenser cette loi du sang qui l’oblige à  se livrer et à  mourir. Il lui dit de fuit vers un monastère pour y être accueilli..Y arrivera-t-il ?

Lui, reviendra vers son école mais pour dire au revoir à  ses élèves. Il a compris que sa vie ne pourra plus se passer seul sur le plateau : les évènements vont s’accélérer, la guerre entre colons et rebelles aura raison de son utopie fraternelle.

Les dernières paroles échangées entre Daru et Mohamed sont celles d’une prière, malgré l’implacable réalité de la guerre. En invoquant tous deux leur Dieu, ils disent l’un après l’autre :

Sois au Créateur, Il sera à  toi.

Demande-Lui et Il te donnera.

Offre-Lui et Il t’offrira.

Chroniques cinéma – « Discount »

de Louis-Julien Petit

avec Corinne Masiero, Olivier Barthélémy, Pascal Demolon.

Film Français 1H45.

Chroniques cinéma de Marie-Noëlle Gougeon

Dans le Nord de la France, des employés d’un magasin Discount vont être peu à  peu remplacés par des caisses automatiques. Les premières lettres de licenciement arrivent semant la consternation mais pas l’abattement. Gilles, Emma, Momo et les autres veulent défendent à  la fois leur honneur et une certaine idée du partage. Ils vont créer avec les produits voués à  être jetés, un « Discount alternatif ». Une façon de mettre en place une rébellion positive !

Et c’est un film jubilatoire que nous offre Louis- Julien Petit alternant des moments criants de vérité sur les manières managériales de la directrice du Discount (épatante Zabou Breitman) avec les conciliabules délirants des employés mettant à  exécution leur projet : faire profiter aux habitants de la région ayant des fins de mois difficiles des produits à  prix « très petits ». Et çà  marche !
Dans le garage de Christiane, une des caissières, ils vont monter un magasin alternatif. Une idée pas si utopique que çà , puisqu’elle existe en réalité dans certaines régions. Sauf que dans le cadre du film, ce sont des produits détournés du magasin qu’ils vont vendre à  tout ce « petit peuple » du Nord laborieux et attachant.

C’est une coopérative étonnante qui se monte peu à  peu avec solidarité de classes, coups de cœurs et coups de gueule, entraide et humour garantis. Une vraie comédie sociale à  la Ken Loach.
Chaque personnage est bien campé, avec son histoire, sa « gueule », ses fragilités, ses expressions.
C’est toute une « comédie humaine » qui est dépeinte dans ce film, un film aux couleurs de la vie telle qu’elle est, mais sans misérabilisme ni excès de pathos. En revanche une œuvre fortement engagée dans une démarche citoyenne pour consommer autrement sans gaspillage outrancier.

Les comédiens sont plus vrais que nature : Corinne Masiero, Pascal Demolon, Olivier Barthélémy.
On respire un bon bol de fraternité et de joie communicative. Les dialogues sont drôles, percutants. Et même si la réalité judiciaire rattrape ces employés généreux et chaleureux, on quitte le film avec le sentiment que les gens, pour peu qu’on les laisse s’exprimer et se défendre, savent trouver le chemin du partage, de la solidarité. En un mot, ce qui peut souder un groupe, une usine, un village. Un vrai message d’espoir.

Le scandale Paradjanov – Avédikian et Olena Fetisova

Le scandale Paradjanov ou la vie tumultueuse d’un artiste soviétique

de Serge Avédikian et Olena Fetisova

avec Serge Avedikian.

(France Géorgien Ukrainien 1H35).

Chroniques cinéma de Marie-Noëlle Gougeon

Serguei Pardjanov est un cinéaste qui fut honoré par l’Occident mais critiqué voire combattu par le pouvoir soviétique puisque l’Ukraine, son pays appartenait alors à  l’URSS. C’était un être hors norme, qui aimait la démesure, faisait exploser les codes classiques du cinéma, bousculait les règles de l’art et des convenances mais aussi faisait montre d’une créativité à  la fois poétique, jubilatoire et iconoclaste. C’était dans les années 50-60

Auteur du célèbre film « Les chevaux de feux » et de « Sayat Nova », il fut emprisonné dans un camp pendant cinq ans pour propos subversifs et homosexualité.

Le film de Serge Avédikian « Le scandale Paradjanov ou la vie tumultueuse d’un artiste soviétique » retrace une partie de sa vie dans lequel le réalisateur joue également le rôle de l’artiste. Serge Avédikian livre un film plein d’empathie pour son sujet : les démêlés de ce peintre avec l’Etat soviétique, la censure mais aussi son amour de la vie qui bouscule tout, sa créativité, sa liberté qu’il paiera au prix fort. On sent Paradjanov attaché à  ses origines, son pays. Il avait tourné Sayat Nova dans un dialecte régional ukrainien. Et le gouvernement soviétique l’avait accusé de nationalisme !

La fin du film le montre lors de sa venue à  Paris où après les discours et les distinctions, il se repose près de la fontaine de Nicky de Saint-Phalle au milieu des statues des femmes obèses et multicolores, des jets d’eau tourbillonnants.

« Les dessins, les images, les films ont plus de force que les mots pour renverser les dictateurs de touts poils » disait-il en substance

Le scandale Paradjanov est un film truculent, aux couleurs chatoyantes, à  la musique entraînante. Pas complètement maîtrisé mais attachant même dans ses défauts : une profusion de personnages, une mise en perspective parfois un peu relâchée, des idées qui « explosent » un peu dans tous les sens mais une belle illustration de la défense de l’art, des artistes et de la créativité.

En cette semaine où la liberté d’expression de caricaturistes fut si lourdement assassinée, on est d’autant plus heureux de voir un film défendre cette liberté des artistes, qu’elle s’exprime en France, en Ukraine ou partout dans le monde. Elle y apparaît force de vie.

« Mon amie Victoria » de Jean-Paul Civeyrac

Chroniques cinéma de Marie-Noëlle Gougeon

avec :Guslagie Malenda, Nadia Moussa, Catherine Mouchet. –

France (1H35).

Victoria n’a jamais pu trouver sa place. Belle jeune femme noire, d’une trentaine d’années, maman de deux enfants, elle pose sur la vie et sur les autres un regard absent, lourd de secrets, de pensées enfouies.

C’est son amie, sa sœur d’adoption qui travaille dans une maison d’éditions qui va raconter son histoire. Petites, toutes deux appartenaient à  cette classe d’employées de maison des beaux quartiers. Par la force des choses, elles fréquentaient les mêmes écoles que les fils des familles pour lesquelles leurs mères travaillaient. Un jour, parce qu’on a oublié de venir la chercher à  l’école, Victoria, alors âgée d’une dizaine d’années, est accueillie dans l’appartement d’un de ces couples bourgeois et ouverts. Elle en gardera un souvenir indélébile et fascinant. Quelques années plus tard, par hasard, elle retrouve le cadet de la famille : une histoire d’amour les réunit un été et à  la rentrée, le garçon parti aux Etats-Unis, Victoria découvre qu’elle est enceinte. Elle ne dit rien, garde l’enfant.

Elle rencontre alors un musicien, a un enfant avec lui mais le jeune homme meurt dans un accident de voiture. Voilà  Victoria seule avec deux enfants. Sa mère morte, son amie la recueille et veille sur elle. Mais Victoria rêve toujours à  ce monde qu’elle a croisé. Le hasard encore une fois va lui faire retrouver Thomas à  qui elle annonce sa paternité. Très vite la famille va se prendre d’amitié et de passion pour la petite fille qu’ont eue les deux jeunes gens mais écarte peu à  peu Victoria des décisions importantes pour l’éducation de la fillette. Quelle place lui revient alors dans un monde de blancs, aisés, cultivés, elle, la petite employée noire, aux revenus modestes et aux sentiments étouffés ?

Le film « Mon amie Victoria » est tiré d’un roman de Doris Lessing et Jean-Paul Civeyrac dépeint subtilement les relations entre ces deux mondes qui ne peuvent tout à  fait se comprendre et se mêler. Catherine Mouchet et Pascal Grégory qui interprètent le rôle des grands-parents sont terriblement justes dans leurs élans généreux mais étouffants et qui frôlent parfois la condescendance. Victoria apparaît absente de sa propre vie et n’ose pas dire vraiment les sentiments d’amour ou de refus qu’elle ressent face à  cette famille « bien née ». La jeune comédienne Guslagie Malenda lui prête sa nonchalance et sa beauté silencieuse.

La voix-off de son amie qui raconte l’histoire de Victoria pourrait alourdir le film : il n’en est rien. Elle symbolise la complicité entre les deux jeunes filles et la tendresse de l’une pour l’autre.
En brossant le portrait de Victoire, Jean-Paul Civeyrac a réussi à  décrire la complexité née de la rencontre entre des milieux, des cultures et des parcours de vie différents.

Né quelque part chantait Maxime le Forestier.A-t-on une place assignée pour la vie ou peut-on emprunter véritablement un autre chemin, changer de monde ? La réponse est ouverte

Timbuktu

de Abderrahmane Sissako avec Abdel Jafri, Toulou Kiki.
( Film Franco-mauritanien. 1h37)

Prix du jury œcuménique à  Cannes en 2014.

Chroniques cinéma de Marie-Noëlle Gougeon

C’est le film qui a fait sensation à  Cannes cette année. Depuis le mois de mai, il ne reçoit que des critiques élogieuses et il est pourtant reparti sans la palme d’Or que certains lui prédisaient. En revanche et heureusement, il a été récompensé par le Prix du Jury œcuménique.

Timbuktu se déroule pas très loin de Tombouctou au Mali où les djihadistes sèment la terreur et font régner sur la région la loi islamique : plus de musique, de sport, les femmes doivent se voiler Elles qui aimaient rire et chanter s’insurgent bientôt : Comment vendre le poisson avec des gants ? Des tribunaux islamiques rendent une justice expéditive sans bases juridiques réelles. Des femmes sont lapidées parce qu’elles ont chanté ou ont embrassé un homme sans être mariées

L’immam du village, un sage aux cheveux blancs, essaie d’une voix douce de raisonner les semeurs de violence : en vain. Ceux-là  ne sont que des musulmans de façade qui fanfaronnent sur leurs deux roues et fument en cachette derrière les murs ocres de la ville.
A quelques kilomètres du village vivent paisiblement sous une tente Kidane, sa femme Satima et leurs deux enfants. Ils possèdent un troupeau qui va paître près du fleuve. Et un jour, le drame arrive : Kidane tue accidentellement Amadou, le pêcheur qui s’en était pris à  sa vache GPS La sentence des djihadistes sera la mort, prononcée et exécutée devant tous

Abderrahmane Sissako est mauritanien et aujourd’hui l’un des cinéastes les plus en vue du continent africain. Avec Timbuktu, son 4ème long métrage, il ose aborder et traiter le sujet, ô combien brûlant, du djihadisme au Sahel. En réaction à  cet obscurantisme, Il en fait une ode à  la liberté, à  la résistance avec des images superbes des montagnes, du désert, des robes chatoyantes des femmes. Il dépeint la douceur de vivre qui était celle que connaissaient les habitants de ces contrées avant de subir la violence des occupants.

Avec de larges plans calmes, il oppose la tendresse du couple de paysans, la joie des jeunes qui jouent au foot sans ballon, puisque c’est interdit, à  la bêtise et à  la folie des djihadistes.

Le rouge des habitants contre le noir des extrémistes.

Des extrémistes grossiers, incultes et n’ayant pour tout discours qu’une suite d’interdits à  imposer aux musulmans restés attachés à  leur foi tolérante. Mais pour combien de temps ? Alors, malgré le courage des populations que montre Sissako dans son film, c’est un sentiment d’impuissance et de rage que l’on ressent, malgré nous. Face à  l’aveuglement, la violence gratuite, l’obscurantisme et la mort, comment espérer encore ? Et pourtant à  Cannes, en mai dernier, Abderrahmane Sissako affirmait : « On ne peut pas parler de barbarie sans espérer »

Timbuktu représentera la Mauritanie en mars prochain aux Oscars dans la catégorie film étranger.